Numéro Hors-série 4: L’évaluation du fonctionnement social à la croisée des chemins. Perspectives théorique, clinique et pédagogique
Sous la codirection de (par ordre alphabétique) :
Stéphane Grenier, T.S., Ph.D., Professeur, École de travail social, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Éric Pilote, T.S., Ph.D., Professeur, Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi
Martin Robert, T.S., Formateur à l’OTSTCFQ
Ylenia Torres, T.S. Chargée d’affaires professionnelles, Direction des admissions de l’OTSTCFQ
La Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines entrée en vigueur en 2012 est venue spécifier le champ d’exercice des travailleuses et travailleurs sociaux en le définissant comme suit :
« Évaluer le fonctionnement social, déterminer un plan d’intervention et en assurer la mise en œuvre ainsi que soutenir et rétablir le fonctionnement social de la personne en réciprocité avec son milieu dans le but de favoriser le développement optimal de l’être humain en interaction avec son environnement » (LQ 2009, c. 28., art. 4).
Ainsi, dans sa dimension professionnelle, l’évaluation du fonctionnement social (ÉFS) ainsi que le plan d’intervention sont au cœur de la profession. Rappelons que le concept de fonctionnement social a commencé à être utilisé en travail social dès les années 1940 dans la littérature américaine et il a été diffusé au Québec dès le début de l’année 1960 :
« En proposant l’expression “fonctionnement social” pour désigner l’objet d’étude et d’intervention du service social, on voulait souligner en quoi il se distinguait des autres disciplines des sciences humaines qui ont pour objet le “fonctionnement psychologique” des personnes et des groupes, et des disciplines des sciences de la santé qui ont pour objet “le fonctionnement biologique ou physiologique” des individus ou des populations » (Alary, 2009, p. 46).
L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) définit le fonctionnement social de la manière suivante :
« Le fonctionnement social renvoie aux interactions et aux interinfluences entre les moyens et les aspirations d’une personne pour assurer son bien-être, réaliser ses activités quotidiennes et ses rôles sociaux pour satisfaire ses besoins avec les attentes, les ressources, les opportunités et les obstacles de son environnement. Les interactions entre les caractéristiques de la personne et celles de son environnement influencent son fonctionnement social » (OTSTCFQ, 2011, p. 7).
Plus précisément, et comme mentionné dans le document Vers une vision partagée pour l’enseignement de l’évaluation du fonctionnement social (OTSTCFQ, 2022), le ou la travailleuse sociale évalue le fonctionnement social dans une perspective d’interaction entre la personne et son environnement, en intégrant une réflexion critique sur les aspects sociaux tout en tenant compte des déterminants sociaux de la santé qui influencent les situations et les problèmes vécus par la personne[1]. En ce sens, l’ÉFS a pour objet une lecture sociale de la situation d’une personne. La finalité poursuivie est de favoriser et de renforcer le pouvoir d’agir des personnes dans leurs relations interpersonnelles, l’accomplissement de leurs rôles sociaux et l’exercice de leurs droits individuels et sociaux (Office des professions du Québec, 2021, p. 26).
À cet effet, le Référentiel de compétences des travailleuses et des travailleurs sociaux (OTSTCFQ, 2012) posait déjà l’idée de ne pas considérer le fonctionnement social sous l’angle normatif (fonctionnaliste), mais dans une perspective de développement social. De même, d’après ce même Référentiel, les travailleuses et travailleurs sociaux ont le devoir d’interroger les idéologies politiques et les discours participant à la construction des problèmes sociaux ; de prendre conscience de leurs propres valeurs, croyances et préjugés ; de faire preuve d’intégrité et de savoir remettre en question leurs propres points de vue ainsi que ceux des autres. À ce titre, et comme stipulé dans le document Vers une vision partagée pour l’enseignement de l’évaluation du fonctionnement social (OTSTCFQ, 2022), cette obligation professionnelle amène le ou la travailleuse sociale à reconnaître sa position de pouvoir face aux personnes vulnérables, marginalisées, opprimées, démunies ou ayant des besoins particuliers et à cerner le lien historique entre la profession et la colonisation et les torts commis à l’égard des communautés autochtones, racisées et migrantes.
Il va sans dire que depuis l’entrée en vigueur de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines en 2012, l’évaluation du fonctionnement social ainsi que les principes qui lui sont sous-jacents sont au cœur du champ d’exercice de la profession, tout en permettant de préciser la marque distinctive de la profession. Or, ces changements opérés par la Loi ont des impacts et rencontrent de nombreux défis tant sur le plan de la formation initiale et continue en travail social que sur le plan de la pratique des travailleuses sociales et travailleurs sociaux. Parmi ces enjeux, mentionnons, par exemple, le fait que les nouveaux diplômés en travail social sont amenés à exercer une pratique professionnelle dans un cadre où les enjeux sociaux sont de plus en plus complexes et mis de côté dans le discours et les pratiques institutionnelles et structurellement minimisés dans les processus de traitement des problèmes. Par ailleurs, les travailleuses sociales et travailleurs sociaux ont à jongler avec des enjeux institutionnels, des pressions d’autres professionnels ainsi que des pratiques administratives de la nouvelle gestion publique dans la réalisation de leur travail d’évaluation (OTSTCFQ, 2022).
Aussi, force est de constater que dans la plupart des milieux de pratique, l’évaluation repose généralement sur l’utilisation de grilles d’évaluation standardisées qui sont axées principalement sur des modèles interrogatifs ou protocolaires et centrées davantage sur les problèmes et symptômes que sur le contexte social. Dans ce type de pratique, le défi principal dans la réalisation de l’ÉFS consiste à composer avec ses obligations professionnelles et les attentes de son milieu de pratique, ce qui fait parfois émerger des enjeux éthiques (OTSTCFQ, 2022). Enfin, dans un contexte où la déprofessionnalisation du travail social, la réforme du système de santé et des services sociaux par la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales ainsi que les nouvelles pratiques de gestion publique ont eu un impact négatif sur la capacité des travailleuses sociales et travailleurs sociaux à développer et à intégrer une identité et une solide posture professionnelles (Grenier et al., 2016), la question suivante se pose : comment l’ÉFS participe-t-elle à l’identité professionnelle ?
Au demeurant, huit ans après l’entrée en vigueur de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, le comité de la formation de l’OTSTCFQ, conjointement avec la table des directeurs de neuf écoles ou unités de formation en travail social au Québec, ont mandaté un groupe de travail afin de développer une compréhension commune sur les notions de base de l’ÉFS à maîtriser au terme du programme de formation initiale en travail social. Dans le document Vers une vision partagée pour l’enseignement de l’évaluation du fonctionnement social (OTSTCFQ, 2022), plusieurs notions génériques, comme les concepts de « démarche dialogique », « déterminants sociaux de la santé », « perspective non pas normative, mais de découverte et de reconnaissance », « distinction entre l’évaluation et le rapport » et « jugement clinique », ont été proposées pour permettre aux enseignants de transmettre les connaissances et les cadres d’analyse qu’ils jugent pertinents.
Afin de poursuivre et d’alimenter les réflexions amorcées dans le cadre des travaux du comité, mais également dans une volonté de présenter des angles d’analyse diversifiés entourant l’ÉFS, la revue Intervention lance un appel à contributions ayant pour objectif de dresser un état des connaissances scientifiques et professionnelles touchant quatre dimensions phares de l’évaluation du fonctionnement social, soit théorique, clinique, pédagogique et relative à l’identité professionnelle des travailleurs sociaux.
La revue Intervention sollicite à cet effet des contributions sous la forme d’articles de fond, de résultats de recherche, de récits de pratique ou de débats et d’analyses critiques s’articulant autour des quatre grands axes suivants :
- Les théories et approches au fondement de l’évaluation en travail social : quelle place pour la recherche ?
De quelle manière la recherche contribue-t-elle à développer les assises théoriques de l’évaluation en travail social ?
Quelle est la place des épistémologies positivistes, phénoménologiques, herméneutiques ou constructivistes dans l’évaluation du fonctionnement social ?
Quelles théories et approches en travail social peuvent soutenir l’analyse de la situation dans la réalisation de l’évaluation du fonctionnement social selon une vision axée sur les déterminants sociaux de la santé, les inégalités sociales ou encore les oppressions vécues ?
2. Rôles, enjeux et défis cliniques dans la réalisation de l’évaluation du fonctionnement social
Comment établir une relation dialogique entre les individus, les organisations et la société? Comment prendre en compte les rapports de pouvoir et d’oppression entre ces acteurs?
Quelle est la place de l’évaluation du fonctionnement social par rapport aux autres types d’évaluation ?
Quelles sont les spécificités de l’évaluation du fonctionnement social pour certaines populations, notamment les Premières Nations et les Inuit ?
Quelles sont les spécificités de l’évaluation du fonctionnement social dans le cadre d’actes réservés ?
Quelles sont les spécificités de l’évaluation du fonctionnement social pour certains milieux de pratique ?
Comment réaliser une évaluation du fonctionnement social en intervention collective ou de groupe ?
3. Rôles, enjeux et défis pédagogiques de l’évaluation du fonctionnement social
Quelles sont les principales stratégies pédagogiques utilisées pour enseigner, au niveau de la formation initiale ou continue, l’évaluation du fonctionnement social ?
Quels sont les outils mis en place par les professeurs et les formateurs pour favoriser les apprentissages relatifs à l’évaluation en travail social ?
Quelles sont les dimensions incontournables à enseigner, au niveau de la formation initiale ou continue, pour qu’un ou une travailleuse sociale puisse réaliser une solide évaluation du fonctionnement social ?
Quels sont les défis rencontrés lors de l’enseignement, au niveau de la formation initiale ou continue, de l’évaluation du fonctionnement social ?
4. L’évaluation comme marque distinctive de la profession. Rôles, enjeux et défis pour l’identité professionnelle des travailleurs sociaux
Comment mettre en valeur l’évaluation du fonctionnement social dans un cadre interdisciplinaire ?
Comment résister aux tentatives de standardisation de l’évaluation du fonctionnement social ?
Date de tombée des résumés(350 mots maximum) : 21 octobre 2023
Date de tombée des articles: 21 mars 2024
Adresse courriel pour soumettre les résumés et articles: revue.intervention@otstcfq.org
RÉFÉRENCES
Alary, J. (2009). Le travail social comme discipline pratique. Intervention, 131, 42-53. https://revueintervention.org/wp-content/uploads/2020/05/intervention_131_4._le_travail_social.pdf
Grenier, J. Bourque, M. et St-Amour, N. (2016). La souffrance psychique au travail : une affaire de gestion. Intervention, 144, 9-20. https://revueintervention.org/wp-content/uploads/2016/11/ri-144_ grenier-bourque-st-amour.pdf
Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales. LQ 2015, c 1. Éditeur officiel du Québec. https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/o-7.2
Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. LQ 2009, c 28. Éditeur officiel du Québec. https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2009/2009C28F.PDF
Office des professions du Québec (2021). Guide explicatif. Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Gouvernement du Québec. https://www.opq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Publications/Guides/2020-21_020_Guide-explicatif-sante-rh-26-08-2021.pdf
OTSTCFQ (2011). Cadre de référence. L’évaluation du fonctionnement social. OTSTCFQ. https://www.otstcfq.org/wp-content/uploads/2016/09/cadre-reference-evaluation-fonctionnement-social.pdf
OTSTCFQ (2012). Référentiel de compétences des travailleuses et des travailleurs sociaux. OTSTCFQ.https://www.otstcfq.org/sites/default/files/referentiel_de_competences_des_travailleurs_sociaux.pdf
OTSTCFQ, 2022. Vers une vision partagée pour l’enseignement de l’évaluation du fonctionnement social. OTSTCFQ. https://www.otstcfq.org/wp-content/uploads/2022/12/Document_Cadre_VF.pdf
[1] Cette personne peut être un individu, un couple, une famille, un groupe ou une collectivité (Office des professions du Québec, 2021, p. 25).