RÉSUMÉ :
Les inégalités tuent à grande échelle et malgré tous les investissements dans ce domaine, l’amélioration des soins de santé et des modes de vie ne pourra corriger la situation. Les inégalités sociales de santé pourraient toutefois être réduites, car elles sont principalement le fruit des circonstances dans lesquelles les individus grandissent, vivent, travaillent et vieillissent. L’intervention doit plutôt porter sur les déterminants sociaux de la santé et favoriser l’équité en santé. Cet article présente les mécanismes de création des inégalités sociales de santé et propose une analyse de la problématique, avant d’exposer les stratégies d’intervention recensées dans la littérature et d’amorcer une discussion sur le rôle des organisations et des professionnels, pour conclure sur une réflexion sociale et politique.
MOTS-CLÉS :
Inégalités sociales de santé, équité en santé, pratique professionnelle, travail social
INTRODUCTION
Les travailleurs sociaux constatent depuis longtemps les effets délétères des mauvaises conditions de vie sur la santé des populations. Ils ont une bonne connaissance des inégalités sociales qui existent et font de la promotion de la justice sociale une des finalités de leur action. Le référentiel de compétences des travailleurs sociaux, publié par l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ), rappelle que les travailleurs sociaux interviennent auprès des populations défavorisées en prenant en compte les rapports sociaux d’inégalité et cherchent à agir sur les déterminants sociaux de la santé (OTSTCFQ, 2012).
La Commission des déterminants sociaux de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a mis en évidence le fait que les inégalités tuent à grande échelle et que, malgré tous les investissements dans ce domaine, l’amélioration des soins de santé et des habitudes de vie ne pourra guère améliorer la situation (OMS, 2009). Lors de la sortie du rapport de la Commission en août 2008, après plus de trois ans de travail, la communauté scientifique internationale s’est ralliée autour de Michael Marmot, président de la Commission, pour enfin reconnaître que la justice sociale est une question de vie ou de mort. Le rapport final de la Commission formule trois recommandations fondamentales : 1) améliorer les conditions de vie quotidiennes; 2) lutter contre les inégalités dans la répartition du pouvoir, de l’argent et des ressources; 3) mesurer et analyser le problème et évaluer l’efficacité de l’action menée.
Les inégalités sociales de santé se manifestent par des écarts dans l’état de santé de la population selon une distribution socialement stratifiée. Elles se manifestent par le gradient social de santé, c’est-à-dire selon le fait que la fréquence d’un problème de santé ou d’une exposition à un facteur de risque augmente régulièrement à partir des catégories les plus favorisées vers les catégories les plus défavorisées (Potvin, Moquet et Jones, 2010). Les inégalités sociales de santé pourraient toutefois être abolies, car elles sont principalement le fruit des circonstances dans lesquelles les individus grandissent, vivent, travaillent et vieillissent (OMS, 2009). En outre, les inégalités se manifestent dès la petite enfance et se poursuivent tout au long de la vie (Frohlich, De Koninck, Demers et al., 2008; Guichard et Potvin, 2010).
Au cours des 50 dernières années, on a observé des améliorations importantes dans l’état de santé de la population. Toutefois, tous n’en ont pas profité de manière égale (Frohlich, De Koninck, Demers et al., 2008; Le Luong, 2010). En effet, on constate encore aujourd’hui des écarts de près de 11 ans dans l’espérance de vie entre certains quartiers des milieux urbains québécois, selon qu’ils sont plus ou moins favorisés (Direction de la santé publique de Montréal, 2012). Les inégalités sociales de santé touchent la société dans son ensemble, mais elles atteignent certains groupes sociaux plus que d’autres, c’est-à-dire ceux qui se situent au bas de l’échelle sociale. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les 10 % les plus riches de la population ont un revenu d’activité qui est 9,6 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres, alors que la proportion était de 7,1 dans les années 1980 et de 9,1 dans les années 2000. Toujours selon l’OCDE, les inégalités n’ont jamais été aussi élevées depuis qu’elles sont mesurées, les jeunes étant désormais particulièrement touchés par ce phénomène, tout comme les femmes (OCDE, 2015).
Inspirés par une approche populationnelle qui incorporent des interventions globales pour l’ensemble d’une population, plusieurs pays ont établi la réduction des inégalités sociales de santé comme objectif prioritaire pour leur système de santé (Potvin, Ginot et Moquet, 2010). Toutefois, les inégalités sont un problème complexe issu de forces politiques, sociales et économiques locales, nationales et internationales (OMS, 2009) sur lesquelles les systèmes de santé ont peu d’emprise. Dans ce contexte s’imposent des décisions politiques de la part des États, mais également l’introduction de politiques publiques et des interventions professionnelles susceptibles de contribuer à réduire les inégalités sociales de santé.
Cet article souhaite contribuer à favoriser la compréhension des inégalités sociales de santé par les travailleurs sociaux, ainsi qu’à préciser le rôle de ces derniers dans l’action sur les déterminants sociaux de la santé. Il présentera d’abord une analyse de la problématique des inégalités sociales de santé puis poursuivra avec la présentation de stratégies d’intervention et une discussion sur le rôle des organisations et des professionnels, pour se conclure par une réflexion d’ordre social et politique.
2. Pour une meilleure compréhension de la problématique
2.1 Inégalités de santé, inégalités sociales et inégalités sociales de santé
Les inégalités de santé font référence à des écarts de santé à l’intérieur d’une population qui sont causés par des facteurs biologiques, comme le bagage génétique ou le processus naturel de vieillissement (Lacourse, 2010). Les inégalités sociales sont plutôt le fruit « d’une distribution inégale de ressources, produite par la société et faisant naître un sentiment d’injustice » (Moulin, 2014 : 1). Les inégalités sociales de santé, quant à elles, font référence à des écarts de santé à l’intérieur d’une population causés par les conditions dans lesquelles vivent les individus (OMS, 2009). Ces écarts, que l’on retrouve entre les hommes et les femmes, entre des groupes socio-économiques et entre des territoires, sont socialement construits, foncièrement injustes et évitables (Direction de la santé publique de Montréal, 2012); ils relèvent avant tout de la justice sociale (De Koninck, 2008). Le directeur national de santé publique du Québec affirme que sur les 30 années d’espérance de vie gagnées depuis 100 ans, seulement 8 sont attribuables à l’action des services de santé, tandis que les et les 22 autres résultent de l’amélioration de l’environnement, des habitudes et des conditions de vie (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005). Il en déduit que :
« Les principaux moyens intersectoriels susceptibles d’influencer les déterminants communs doivent viser les buts suivants : réduire la pauvreté et les inégalités, préserver l’environnement physique, appuyer le développement des communautés solidaires, soutenir l’adoption de saines habitudes de vie et soutenir le développement des enfants et des jeunes » (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005 : 10).
Selon Frohlich, Bernard, Charafeddine et al. (2008), l’état de santé d’une population découle de la relation entre les individus et leur environnement durant leur parcours de vie. L’environnement, qui peut se définir comme la communauté, le quartier et plus généralement les milieux dans lesquels évoluent les individus, comprend des ressources auxquelles les personnes n’ont pas accès de façon uniforme. Ces ressources peuvent être de l’ordre de l’emploi, du logement, de l’éducation, de l’alimentation, etc. Or, la distribution des ressources s’effectue en fonction d’un gradient social propre à chaque époque et société. Le gradient social est étroitement associé au gradient de santé, car ce dernier représente l’association entre la position dans la hiérarchie sociale et l’état de santé. Par le fait même, les inégalités sociales en viennent à se manifester sous forme de maladies, d’incapacités ou de limitations (Aïach et Fassin, 2004; Leclerc, Fassin, Kaminski et al., 2000; Moquet, 2008).
La littérature fait largement état du rôle des déterminants sociaux de la santé dans la production des inégalités sociales de santé et y associe l’existence de rapports de pouvoir favorisant les individus qui se situent en haut de l’échelle sociale (Baum, 2008; Gore, Kothari, 2012; Marmot, 2009; Potvin, Moquet et Jones, 2010). Ces rapports se traduisent par des inégalités sociales de santé au sein et entre les sociétés et se perpétuent en vertu de politiques gouvernementales qui leur sont favorables (Navarro, 2009). Selon De Koninck (2008), les inégalités sociales de santé seraient le résultat d’un double fardeau : les personnes défavorisées sur le plan socioéconomique sont à la fois plus exposées à des conditions de vie stressantes et moins dotées de ressources protectrices. Les inégalités sociales présentes dans une société se transposent donc en inégalités dans les conditions de vie pour enfin créer des inégalités sociales de santé, comme démontré dans la figure suivante :
2.2 Le rôle prépondérant des déterminants sociaux de la santé
Les déterminants sociaux de la santé font référence aux conditions sociales et économiques qui influent sur la santé des populations (Potvin, Moquet et Jones, 2010; Raphael, 2008). Ils jouent un rôle majeur dans l’accès des personnes aux ressources physiques, sociales et personnelles leur permettant d’atteindre leurs aspirations, de satisfaire leurs besoins et d’interagir avec leur environnement. Les déterminants sociaux de la santé font également référence à la quantité et la qualité des ressources qu’une société rend disponibles à ses citoyens (Raphael, 2008). Plusieurs auteurs proposent une conceptualisation des déterminants sociaux de la santé. Certains le font sous la forme de listes (Agence de la santé publique du Canada, 2011; Mikkonen et Raphael, 2010; Signal, Matin, Cram et al., 2008), tandis que d’autres les présentent sous la forme de figures ou de schémas (Dahlgren et Whitehead, 1991; Hyppolite, 2012; ministère de la Santé et des Services sociaux, 2012; OMS, 2008). Comme les figures et schémas permettent une meilleure compréhension des liens entre les déterminants et de leur influence mutuelle, la figure suivante, inspirée du cadre théorique de Dahlgren et Whitehead (1991), largement utilisée par les chercheurs et praticiens du champ de la santé publique, a été retenue. Cette figure permet de distinguer les différentes catégories de déterminants de la santé, dont les déterminants sociaux.
Cette figure rend compte de l’influence exercée par les différentes catégories de déterminants, qui se chevauchent. Les comportements et les habitudes de vie des individus sont ainsi influencés par les conditions de vie matérielles et sociales dans lesquelles ils vivent, elles-mêmes influencées par le contexte global (Hyppolite, 2012). Cette figure permet de visualiser l’influence des déterminants sociaux, tels que les conditions de vie et de travail et les structures sociales, sur les facteurs de risque individuels comme les comportements et les habitudes de vie (Graham, 2004).
3. Des stratégies d’intervention qui contribuent à réduire les inégalités sociales de santé
Peu importe les modalités d’accès aux soins de santé, des inégalités sociales de santé existent dans tous les pays (Potvin, Ginot et Moquet, 2010). Quoique les soins de santé puissent contribuer à réduire les écarts de santé en traitant les maladies, ils ne permettent pas d’agir sur les causes fondamentales des inégalités sociales de santé. L’amélioration de la santé de la population passe plutôt par de nouvelles stratégies qui prennent en considération tant les comportements des individus que les contextes dans lesquels ces comportements ont lieu (OMS, 2009; Frohlich, Corin et Potvin, 2008 ; Raynault et Loslier, 2008; Wilkinson et Pickett, 2009). Quoiqu’il existe très peu de données probantes sur la façon d’intervenir pour diminuer les inégalités sociales de santé, la littérature démontre que cela suppose de tenir compte des déterminants sociaux de la santé, de favoriser une participation soutenue des individus, de reconnaître les capacités individuelles, collectives et communautaires, de réaliser des interventions dans les milieux de vie pour créer des environnements favorables à la santé avec les collectivités concernées et, finalement, d’adopter des stratégies d’intervention qui prennent en considération les facteurs de fragilisation sociale (Guichard et Potvin, 2010; Mikkonen et Raphael, 2010; Navarro, 2009; Raynault et Loslier, 2008; Wilkinson et Pickett, 2009). Trois stratégies d’intervention, déjà largement connues des travailleurs sociaux et des organisateurs communautaires, seront présentées afin d’illustrer les interventions pertinentes à la réduction des inégalités sociales de santé.
3.1 Favoriser la participation des personnes concernées et leur mobilisation dans l’élaboration des politiques et des interventions publiques en matière de santé
Les personnes concernées ne font que rarement partie de l’élaboration et de la mise en oeuvre des politiques de santé, dont celles en santé publique, ou même des interventions qui en découlent. Quoique la tradition québécoise du réseau de la santé et des services sociaux aille dans le sens de la valorisation de la participation, force est de constater que de nombreux programmes et interventions ne font pas participer la population concernée quand vient le temps de définir les besoins et les problèmes auxquels ces programmes et interventions doivent s’attaquer (Bilodeau, Allard, Francoeur et al., 2004).
La littérature insiste pourtant sur l’importance de la participation des populations concernées lorsqu’il s’agit de définir les problèmes, d’élaborer des interventions et d’évaluer la situation (Bourque et Lachapelle, 2007; Frohlich et Potvin, 2008). Ces dernières ont une compréhension approfondie des problèmes qui les affectent, de la façon dont elles sont touchées et des répercussions sur leur santé. Revoir les modes de participation permettrait de conjuguer les expertises, ajoutant celles issues de l’expérience des personnes concernées à celles des experts de programme et des professionnels sur le terrain. Toutefois, la participation des personnes concernées ne va pas nécessairement de soi. En effet, on constate que les populations les plus marginalisées ne sont pas entendues dans les modes de participation actuellement en vigueur, caractérisées par des divers types de consultation (des consultations par internet ou des consultations publiques dans un quartier, par exemple, ou même des consultations ciblées auprès de clientèles ou d’organismes). Comme intervenant, il est alors pertinent de remettre en cause la façon dont les populations concernées sont rejointes et surtout impliquées. Bilodeau, Chamberland et White (2002) ont établi des conditions spécifiques favorisant le succès des approches participatives : 1) la participation des personnes concernées et des acteurs pertinents à la question en jeu; 2) la mobilisation des personnes concernées sur des choix stratégiques et non seulement techniques ou instrumentaux; 3) une position d’influence et de négociation (au-delà de la consultation) pour les personnes concernées; 4) un processus participatif permettant de réduire l’inégalité de pouvoir entre les acteurs (dont les experts) et favorisant la conception concertée des actions.
Il est donc important de réfléchir aux façons dont les intervenants et institutions entendent les voix des personnes concernées, généralement exclues des processus d’élaboration et de mise en oeuvre des politiques, des programmes ou des interventions qui concernent leur santé.
3.2 Favoriser l’empowerment des individus et des collectivités
La participation est étroitement liée aux processus d’empowerment, qu’il s’agisse d’empowerment individuel, organisationnel ou communautaire (Ninacs, 2008). Dans le cadre de cet article, l’empowerment est entendu comme un processus par lequel les individus, les organisations et les communautés acquièrent la capacité d’exercer un pouvoir qui implique la capacité d’exercer des choix, ainsi que la capacité et la compétence d’agir de façon autonome. Ninacs (2008) définit l’empowerment individuel comme suit :
« L’empowerment individuel est un processus composé d’un enchaînement simultané d’étapes agissant sur quatre plans : la participation, les compétences pratiques, l’estime de soi et la conscience critique. Dans leur ensemble et par leur interaction, elles permettent le passage d’un état sans pouvoir d’agir à un autre où l’individu est capable d’agir en fonction de ses propres choix » (Ninacs, 2008 : 19).
L’empowerment se concrétise par un accompagnement actif et des moyens mis en place par des travailleurs sociaux pour favoriser la participation des individus et la mobilisation dans la communauté. L’empowerment suppose toutefois la capacité des intervenants à partager le pouvoir dans les constats et la prise de décisions, de façon à permettre à la communauté d’agir à la fois sur le processus et les résultats qui en découleront. Cela implique de considérer les personnes non plus comme des clients (ou usagers, ou bénéficiaires), mais comme des citoyennes et des citoyens, et de percevoir les communautés non plus comme des objets d’intervention collective, mais comme des acteurs de leur développement, lequel contribuera lui-même à la réduction des inégalités sociales de santé. Il semble donc primordial de poser la question suivante : comment les interventions actuelles contribuent-elles à l’empowerment individuel, organisationnel et communautaire?
3.3 Soutenir le développement des communautés
Le développement des communautés, qui réfère à des pratiques d’intervention collective exercées par les organisateurs communautaires depuis plusieurs décennies, est mis de l’avant à titre de stratégie d’amélioration de la santé de la population par les autorités québécoises de santé publique depuis 2003. Toute démarche de développement des communautés devrait ainsi poursuivre un objectif de réduction des inégalités sociales de santé, en visant avant tout l’amélioration des conditions de vie dans une communauté territoriale (Parent, Simard, Roy et O’Neill, 2012). Selon les documents publiés par les autorités de santé publique, le développement des communautés est défini comme :
« Un processus de coopération volontaire, d’entraide et de construction de liens sociaux entre les résidents et les institutions d’un milieu local. Ce processus vise l’amélioration des conditions de vie sur les plans social, culturel, économique et environnemental » (ministère de la Santé et des Services sociaux, 2008 : 61).
Selon l’Institut national de santé publique (Leroux et Ninacs, 2002), cinq principes d’intervention balisent le soutien au développement des communautés : la participation des citoyens et des communautés; l’empowerment; la lutte à la pauvreté et la réduction des inégalités sociales; l’harmonisation et la promotion de politiques publiques favorables à la santé; la concertation et le partenariat.
La concertation s’appuie sur l’action intersectorielle, qui est une clé importante de la réduction des inégalités sociales de santé, car elle permet de mettre en commun les ressources des acteurs spécifiques aux différents déterminants sociaux de la santé : habitation, revenu, éducation, transport, etc. (Bilodeau, 2005). Le travailleur social peut y contribuer en participant comme membre des tables de concertation, en offrant un soutien à l’animation, à la recherche de financement et aux mécanismes de liaison, en favorisant la collaboration et le partenariat entre les groupes du milieu, en facilitant l’engagement des partenaires et finalement en fournissant des connaissances et une expertise sur les problématiques concernées (par exemple, sur la maltraitance ou la sécurité alimentaire).
Quoique le développement des communautés soit généralement associé aux organisateurs communautaires, les trois méthodes d’intervention du travail social – individuelle, de groupe et collective – peuvent y contribuer. Comme il s’agit d’une approche proactive, l’intégration de cette stratégie dans les pratiques amène les institutions à ouvrir leurs portes pour faire connaître leurs services et les incite à se tourner vers les milieux et leurs résidents pour mieux comprendre leurs besoins et découvrir les ressources des communautés. Selon Caillouette, Garon, Dallaire et al., (2009), l’intervention clinique et l’intervention communautaire dans une approche de développement des communautés s’articulent selon quatre dimensions : 1) sur le plan des connaissances, les intervenants veillent à développer une connaissance des citoyens, des milieux et de leurs ressources et diffusent de l’information sur les ressources, leurs rôles et les services de leur organisation; 2) sur le plan des collaborations externes, les intervenants font référence aux ressources de la communauté et développent des systèmes de références interorganisationnelles, y accompagnent les personnes pour favoriser leur participation, entretiennent des liens personnalisés avec les ressources, participent à des évènements communautaires, mettent à profit leurs connaissances dans la communauté et participent à des instances de concertation. La mise en place de groupes de soutien, qui peuvent être considérés comme des passerelles dans un processus de participation et d’empowerment, est particulièrement encouragée; 3) sur le plan des collaborations internes, les intervenants ont un rôle important à jouer dans la sensibilisation des acteurs (intervenants et gestionnaires) aux conditions de vie des clientèles desservies, aux actions à déployer dans la communauté et aux rôles que peuvent jouer leur organisation dans les milieux. Ils peuvent également être mis davantage à contribution dans l’orientation des nouveaux employés, tant dans l’établissement que dans les communautés, le travail multidisciplinaire et les collaborations avec les organisateurs communautaires; 4) sur le plan de la vision du rôle de l’intervenant clinique, la vision du travail est avantagée par un déplacement de l’intervention individuelle dans la communauté selon le modèle de l’intervention de proximité (Morin, Allaire et Bossé, 2015), une présence et une disponibilité accrues dans les milieux de vie ainsi qu’une valorisation de la participation citoyenne et de l’empowerment collectif des membres de la communauté.
Ainsi formulé, le soutien au développement des communautés concerne l’ensemble des travailleurs sociaux, qui peuvent y contribuer de maintes façons. Les principes d’intervention qui y sont associés font écho aux meilleures pratiques de réduction des inégalités sociales de santé, et l’action sur les déterminants sociaux de santé assure ainsi l’amélioration des conditions de vie.
4. Discussion et conclusion
Il est maintenant démontré que les inégalités sociales de santé sont injustes et inéquitables, et qu’elles relèvent avant tout de la justice sociale. Mettre de l’avant le concept d’équité en santé est donc une façon de nommer la nécessité d’éliminer les inégalités en matière de santé (Braveman, 2006). Starfield (2007) et l’OMS (2015) rapportent que l’équité en santé est l’absence de différences évitables ou remédiables entre différents groupes de personnes, qu’ils soient définis selon des critères sociaux, économiques, démographiques ou géographiques. Il s’agit toutefois d’une notion relativement récente, encore peu inscrite dans les orientations des institutions et l’offre de services.
Au-delà des pratiques professionnelles présentées dans la section précédente, les organisations du réseau de la santé et des services sociaux ainsi que les autres organismes où pratiquent les travailleurs sociaux doivent également agir en faveur de l’équité en santé. Selon Sutcliffe, Snelling et Laclé (2011), il est essentiel d’opérationnaliser l’équité en santé dans les organisations afin d’éviter de creuser les écarts de santé dans la population. En effet, lorsque des interventions s’adressent à des populations dans leur ensemble dans le cadre de programmes universels, le risque d’exacerber les inégalités sociales de santé est présent. Frohlich et Potvin (2008) ont démontré que les personnes les moins exposées aux risques et ont accès à une panoplie de ressources profitent généralement le plus de ces interventions. Afin de ne pas créer d’écarts, il est donc important d’adapter et d’intensifier les interventions auprès des populations vulnérables. Selon Sutcliffe, Snelling et Laclé (2011), le ciblage dans le cadre d’un programme universel garantit qu’une intensité plus grande de services vise les groupes les plus défavorisés, limitant la possibilité d’exacerber les écarts auxquels font allusion Frohlich et Potvin (2008).
La réduction des inégalités sociales de santé ne peut s’accomplir sans une réflexion politique sur la façon de redistribuer le pouvoir et les ressources dans la société. Malgré leur pertinence, les stratégies présentées dans ce texte ne suffisent pas. Le débat doit également porter sur l’environnement « macrosocial », car le contexte a non seulement des répercussions sur le vécu des personnes au bas de l’échelle, mais également sur les interventions menées par les travailleurs sociaux. À ce chapitre, soulignons que depuis 2014, le gouvernement du Québec déploie une politique agressive d’austérité budgétaire dont les conséquences sur l’augmentation des inégalités, la participation sociale et le développement des communautés inquiètent de nombreux acteurs (Martin, 2015; Venne, 2015). Même si les compressions budgétaires ne sont pas l’apanage du gouvernement actuel, celui-ci s’est surpassé à cet égard, par exemple en coupant plus de 30 % du budget de la santé publique au cours d’une même année, ou encore en déstructurant des pans entiers du développement collectif sur le plan régional. Ces mesures bloquent directement les efforts des institutions, des intervenants et des communautés pour contrer les inégalités sociales de santé, car selon Boileau (2015), au-delà de la réduction du déficit, c’est une transformation radicale du Québec qui est en cours, avec comme logique l’annihilation de l’État social.
Par les coupes touchant les services publics, dont l’éducation, la santé et les services de garde, et par celles touchant la sécurité du revenu, sans parler des pertes d’emplois massives, ce sont la cohésion et l’inclusion sociales qui sont fragilisées. Sur le plan « macrosocial » et structurel, certaines politiques gouvernementales risquent d’accroître les inégalités sociales et par conséquent les inégalités sociales de santé, sans que les interventions professionnelles et les initiatives communautaires puissent en contrer suffisamment les effets. La réduction des inégalités sociales de santé est incompatible avec une politique d’austérité et de déresponsabilisation gouvernementale. Elle implique donc actuellement un engagement citoyen et politique de la part des intervenants et de leurs organisations (ordres professionnels, associations, syndicats ou communautés de pratique), car comme l’a énoncé l’OMS, la justice sociale est désormais reconnue comme une question de santé, et même de vie ou de mort.
ABSTRACT:
Inequities kill on a large-scale basis and despite all the investments made, improving health care services and lifestyles may not improve the situation. Health inequities, however, could be avoided since they are mainly the result of circumstances in which people grow, live, work and age. Interventions must instead focus on the social determinants of health and promote health equity. This article presents mechanisms that create health inequities and an analysis of the problem. Three intervention strategies identified in the literature are presented along with a discussion on the role of organizations and professionals, before concluding with a social and political reflection.
KEY WORDS:
Social inequalities of health; health equity; professional practice; social work