Numéro 143

Le repérage et la référence de clientèles masculines aux prises avec des comportements violents : quelques pistes d’actions pour les intervenants

RÉSUMÉ :

Considérant qu’au moment de consultations psychosociales, les hommes ayant des comportements violents définissent très peu la violence comme le motif de consultation principal, la capacité des intervenants à repérer et à référer ces hommes vers des ressources d’aide spécialisées pour conjoints aux comportements violents apparaît primordiale. Le présent article vise à rendre compte d’un projet de recherche réalisé en Montérégie dont le but était de créer, en concertation avec des intervenants de première ligne du réseau de la santé et des services sociaux, un outil clinique visant à faciliter le repérage et la référence de potentielles situations de violence conjugale auprès des clientèles masculines. Concrètement, il y est question des éléments utilisés par les intervenants pour repérer les situations de violence conjugale, des stratégies utilisées pour aborder la question de la violence et de l’outil réalisé.

MOTS-CLÉS :

Violence conjugale, hommes aux comportements violents, clientèle masculine, pratiques d’intervention, repérage, référence, services sociaux, Montérégie

INTRODUCTION

Il semble encore difficile, pour un grand nombre d’auteurs de violence conjugale, de définir spontanément leurs comportements violents comme un motif de consultation (Turcotte, 2012). Certains d’entre eux semblent avoir moins de réserve à consulter lorsqu’ils sont aux prises avec des problématiques associées telles que des idées suicidaires, l’éclatement de la famille, des troubles de comportement chez les enfants ou des conflits de couple (Rinfret-Raynord, Dubé, Damant et al., 2001; Dallaire, 2011). Ainsi, la capacité des intervenants1 à déceler des signes indiquant la présence de violence joue un rôle important puisque les comportements violents peuvent être une des causes, parfois même la cause principale, des difficultés à l’origine de la consultation (Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 2010; Turcotte, 2012). Il est également important de considérer, comme le soulignait le Comité d’experts sur les homicides intrafamiliaux, qu’un historique de violence conjugale, associé à une rupture et à une difficulté à traverser les étapes du deuil qui s’ensuit, représentent des facteurs de risque importants pour la sécurité de la personne violente et celle de son entourage, en particulier sa conjointe (Gouvernement du Québec, 2012). Dans ce contexte, la détection précoce de la violence conjugale pourrait donc permettre l’évitement de drames familiaux (Drouin et Drolet, 2004). Cependant, une fois les comportements d’agression et de contrôle identifiés, comment aborde-t-on le sujet de la violence avec la personne? Comment arrive-t-on à redéfinir, avec elle, les objectifs d’intervention en fonction de la problématique de la violence conjugale sans éveiller de la méfiance, de la honte ou une résistance à se mobiliser?

Selon une étude exploratoire portant sur les pratiques d’identification de cas et d’intervention en matière de violence conjugale dans les CLSC (INSPQ, 2010), le principal besoin formulé par les intervenants serait de disposer d’outils d’intervention simples et pratiques pour effectuer le repérage de la violence conjugale. Considérant l’absence d’un tel outil dans leur pratique et les demandes émanant de partenaires des milieux institutionnels et communautaires, les membres de la Table des organismes pour hommes en violence de la Montérégie (TOHOM)2 ont jugé pertinent de développer un projet visant une amélioration des méthodes de repérage des situations de violence conjugale auprès des clientèles masculines ainsi que de leur référence vers des organismes spécialisés. Dans cette optique, des prises de contact ont été effectuées auprès de l’équipe Masculinités & Société du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF) afin d’assurer la direction scientifique d’une recherche pour laquelle une demande de financement a été déposée auprès de l’Agence de la Santé et des Services sociaux de la Montérégie.

Initialement, la recherche devait s’articuler autour de la validation d’un outil créé par les membres de la TOHOM en faisant appel à un groupe restreint d’intervenants œuvrant dans les services d’accueil de différents CSSS de la Montérégie. Toutefois, lors de la première rencontre entre l’équipe de recherche et les membres de la TOHOM, il a été convenu d’écarter cette option et d’opter plutôt pour un processus de co-construction afin de mettre à contribution les intervenants du réseau. Ainsi, cette façon de faire permettrait de construire l’outil à partir de l’expertise et des besoins des professionnels, rendant ce dernier le plus adapté possible à leur réalité. L’équipe de recherche a donc proposé de concevoir le projet selon le modèle de la recherche-action. Selon plusieurs auteurs (Dolbec et Prudhomme, 2009; Goyette et Hébert-Lessard, 1987; Lavoie, Marquis et Laurin, 1996), ce type de recherche, moins rigide que la recherche traditionnelle, vise surtout la réponse à un besoin concret et/ou l’amélioration de la pratique des intervenants. Tout comme la recherche traditionnelle, la recherche-action fait l’objet d’une planification rigoureuse et systématique. Elle se distingue toutefois par une collaboration de tous les acteurs au processus de recherche de même que par la présence de boucles de rétroaction qui lui confère un aspect cyclique. Ces boucles servent principalement à rendre compte des ajustements parfois nécessaires pour régler le problème établi au départ (Dolbec et Prud’homme, 2009). Ce type de recherche a été jugé plus approprié puisque l’élaboration d’un outil de repérage destiné aux intervenants peut demander plusieurs ajustements, mais également parce que ce modèle de recherche, en s’ancrant dans un besoin concret, permet d’accorder moins d’importance à la revue de la littérature existante, un choix également motivé par les moyens financiers modestes du projet.

De concert avec les membres de la TOHOM, la recherche a été pilotée par un coordonnateur scientifique (un étudiant au cycle supérieur) et encadrée par un directeur de recherche (un professeur de l’Université Laval membre de M&S). Un comité aviseur composé de représentants d’un CSSS de la Montérégie, de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie et de l’INSPQ, en plus des instances déjà nommées, a également été constitué. Son rôle consistait à effectuer des recommandations quant aux actions à mener dans le cadre du projet, mais également à valider l’adéquation entre les choix effectués par la TOHOM et les réalités des différents milieux de pratique.

L’objectif général de la recherche était de contribuer à l’amélioration des pratiques d’identification précoce, auprès des clientèles masculines, de possibles situations de violence conjugale (principalement lorsque l’homme est l’agresseur), et de faciliter la référence vers les organismes d’intervention en violence par le développement d’un outil à l’intention des intervenants du réseau de la santé et des services sociaux. De façon plus spécifique, le projet visait à 1) dresser un portrait des pratiques régionales prometteuses et des besoins des intervenants en matière de détection et de référence des situations de violence conjugale auprès des clientèles masculines; 2) proposer, sous forme d’outil concret, une synthèse des informations recueillies afin d’aider les intervenants à réaliser des activités de repérage et de référence et; 3) diffuser l’outil ainsi élaboré auprès des participants à la recherche.

Le présent article vise à diffuser certains résultats de cette étude, principalement les moyens utilisés par les intervenants pour effectuer le repérage de situations où des hommes exercent de la violence dans leur couple ainsi que les stratégies utilisées pour aborder cette violence avec ces derniers. La publication de ces éléments apparaît pertinente dans la mesure où le partage de cette expertise est susceptible d’inspirer des pistes d’intervention à d’autres professionnels rencontrant de telles situations. De plus, les suggestions effectuées par les participants à la recherche quant au contenu et à la forme de l’outil seront aussi traitées. L’outil élaboré par les membres de la TOHOM sera également sommairement présenté avant d’en arriver à la conclusion. Toutefois, il importe d’exposer d’abord les différents éléments méthodologiques ayant mené à ces résultats.

1. Méthodologie de l’étude

La méthode de collecte de données retenue a été le groupe de discussion. Cette approche consiste à réunir des participants pour une entrevue de groupe au cours de laquelle un animateur dirige une discussion autour de sujets précis (Ouellet et Mayer, 2000). Elle présente plusieurs avantages, dont le fait de recueillir une pluralité d’expériences en peu d’activités de collecte et d’obtenir des données d’une plus grande profondeur puisque les participants peuvent cheminer dans leur réflexion lors de l’entretien et réagir aux propos des autres. Une grille d’entrevue a servi à animer l’ensemble des groupes. Celle-ci se composait de sept questions ouvertes, chacune ciblant un thème à couvrir, soit : les difficultés rencontrées par les intervenants dans le repérage et la référence de clientèles masculines ayant des comportements violents; les stratégies efficaces ou moins adaptées employées pour aborder la question de la violence; les signes servant à reconnaître les dynamiques de violence conjugale; les outils existants utilisés; les expériences des intervenants lorsqu’ils dirigent des hommes vers des organismes d’aide en violence conjugale et les éléments qui pourraient faciliter la référence; enfin, les suggestions relatives à l’outil à développer. Il a été convenu par l’équipe de recherche que la réalisation de cinq groupes de discussion constituait un excellent compromis entre le nombre d’intervenants rejoints et le peu de ressources disponibles pour la réalisation du projet. Ce faisant, l’équipe de recherche espérait tout de même rencontrer une certaine forme de saturation dans les propos recueillis.

Afin de répondre aux objectifs de la recherche, il a été déterminé que les personnes les plus susceptibles de renseigner l’équipe de recherche étaient les intervenants œuvrant au sein des équipes d’accueil des différents CLSC de la Montérégie. Ces personnes ont été retenues parce qu’elles sont « la porte d’entrée des services », qu’elles reçoivent toutes sortes de demandes, dont des demandes d’hommes ayant des comportements violents. De plus, il est de leur responsabilité de clarifier la situation des clients afin de déterminer une orientation. Par conséquent, ce sont ces intervenants qui sont les plus susceptibles d’effectuer un repérage de situations de violence conjugale auprès des clientèles masculines et de référer les hommes vers les organismes d’aide en violence.

Afin d’assurer une certaine représentativité des pratiques retrouvées sur le territoire, l’équipe de recherche souhaitait réunir dans chacun des groupes de discussion des intervenants provenant de différents CLSC. Cette orientation a toutefois entraîné des difficultés de recrutement découlant des horaires chargés des intervenants, mais également en raison du temps de déplacement important que la participation à la recherche pouvait occasionner pour certaines personnes, la Montérégie étant un très grand territoire. Ce problème de recrutement a été résolu par la proposition d’un chef de programme de CLSC qui a offert à l’équipe de recherche de se rendre dans son milieu afin de rencontrer les intervenants lors d’une réunion statutaire et d’effectuer la collecte des données auprès des personnes présentes souhaitant participer à l’étude. Cette façon de faire a donc été adoptée par l’équipe de recherche puisqu’elle facilitait le recrutement et surtout la gestion des horaires, puisque toutes les équipes d’accueil tiennent ce genre de réunion statutaire. D’autre part, l’expérience du premier groupe de discussion a démontré que la discussion en équipe pouvait stimuler l’entraide entre collègues, ce qui constitue une retombée inattendue, mais qui va tout à fait dans le sens des objectifs du projet. C’est donc dans cette optique que les membres de la TOHOM ont pris contact avec l’ensemble des équipes d’accueil des CLSC présents sur leurs territoires respectifs afin de trouver des milieux désirant participer à l’étude.

Afin d’effectuer l’analyse des données recueillies, le coordonnateur scientifique de la recherche a procédé à une transcription sommaire des discussions. Par la suite, une analyse plus approfondie par thèmes a été effectuée. La création des catégories a été réalisée selon une méthode mixte, c’est-à-dire qui comprend à la fois des catégories construites de manière déductive (déterminées à l’avance) et inductive (inspirées par le matériel de recherche) (Mayer et Deslauriers, 2000). Plus précisément, les catégories construites de manière déductive représentaient les thèmes de la grille d’entrevue et ont permis un premier niveau de codification. Par la suite, au sein de ces catégories, une analyse inductive a été réalisée afin de dégager le sens des propos tenus en lien avec chacun des thèmes de la grille de collecte.

3. Résultats et analyse

De 2009 à 2010, l’équipe de recherche a rencontré 38 intervenants (principalement des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social) répartis dans cinq groupes de discussion au sein d’autant de CLSC de la Montérégie (Huntingdon, Vaudreuil-Soulanges, Valleyfield, Châteauguay et Sorel-Tracy), ce qui a assuré une diversification des secteurs de collecte de la région. Cet échantillon comportait 28 femmes et 10 hommes. Exception faite d’un groupe comprenant 15 participants (il s’agissait d’une équipe élargie qui regroupait plusieurs programmes), les groupes de discussions ont réuni entre quatre et huit participants (pour une moyenne de 7,6 participants par groupe).

Étant donné la grande quantité de thèmes couverts lors des groupes de discussion, le présent article ne permet pas de présenter l’ensemble des résultats de la recherche. Il a donc été convenu, en fonction des objectifs mentionnés en introduction de cet article, de se limiter à la présentation de : 1) les éléments utilisés par les intervenants pour reconnaître les situations de violence conjugale; 2) les stratégies utilisées pour aborder la question de la violence avec les hommes et; 3) les suggestions concernant l’outil de collecte transmises par les intervenants.

3.1 Éléments utilisés par les intervenants pour reconnaître les situations de violence conjugale

Lorsqu’ils rencontrent des hommes susceptibles d’être aux prises avec un problème de comportements violents, les intervenants des services d’accueil ont rapporté se fier à différents éléments afin de confirmer ou d’infirmer leurs impressions. Plus précisément, les intervenants ont mentionné aborder les motifs de consultation, les éléments du vécu du conjoint et l’attitude de l’homme pendant l’entrevue.

Les motifs deconsultation

Les intervenants rapportent plusieurs motifs de consultation pouvant indiquer la présence d’une dynamique de violence conjugale. Cependant, de l’avis de la majorité d’entre eux, il est plutôt rare, comme l’indique ce participant, que les hommes évoquent d’emblée la violence :

Au total, si l’on fait des pourcentages, je crois que c’est beaucoup plus par les portes d’àcôté que l’on va trouver les situations où il y a de la violence, plutôt que ceux qui disent d’emblée avoir un problème de violence. […] Peu importe le motif de consultation, quand l’homme dit qu’ilestviolent,jecroisquel’onval’aborderplusrapidement.Danstouslesautrescasc’est par la porte d’à côté que l’on réalise qu’il y a une dynamique de violence, on l’a derrière latête etonnelelâchepas.Maislepremiermotifcen’étaitpascelui-là.(Participant au groupe #3)

Ainsi, comme l’indique Turcotte (2002), il est possible de distinguer deux types de motifs chez les hommes qui consultent, soit : des motifs extrinsèques (provenant de pressions extérieures à l’homme) et des motifs intrinsèques (propres à l’homme lui-même). Pour le premier type de motifs, certains éléments de la dynamique familiale vont motiver la consultation. Il peut s’agir, par exemple, d’une initiative de la conjointe qui estime la consultation nécessaire. Un autre cas typique est celui d’un couple qui, sur recommandation de l’école, se présente à l’accueil psychosocial pour avoir de l’aide concernant la gestion des comportements agressifs d’un de leurs enfants :

Moi, c’est quand ils consultent parce que leurs enfants sont violents, surtout si la maman me dit qu’il est violent envers elle. Ce n’est pas toujours parce que papa est violent, mais c’est quand même quelque chose que je vais évaluer dans ce temps-là parce que les enfants peuvent reproduirecequ’ilsvoientàlamaison.Desfois,çapeutaussiêtreuneréférencedel’écoleparce que le jeune a de l’agressivité ou des troubles de comportement. (Participant au groupe #3)

Cela dit, certaines difficultés vécues au sein du couple ont aussi été nommées par les intervenants comme des motifs de consultation pouvant laisser entrevoir une dynamique de violence conjugale :

Unefois,j’aiconnuunhommequiademandédesservicespourlaconjointeparcequ’elleétait en dépression. J’ai rencontré les deux séparément. Monsieur m’appelait aussi, souvent, pour avoirdesservicesparcequesaconjointeétaitendépression,qu’ellenefaisaitplusleménageet n’était plus fine avec lui, qu’elle ne couchait plus avec lui. (Participant au groupe #3)

Bien que le conjoint dont il est question dans cet extrait paraisse bienveillant, son insistance à voir sa conjointe remplir un rôle défini constitue une forme de contrôle qui a éveillé les soupçons de l’intervenant.

À mi-chemin entre des motivations extrinsèques et intrinsèques, il a été noté que certains hommes s’adressent aux intervenants afin de comprendre une situation sur laquelle ils sentent ne pas avoir le contrôle. Comme nous le rapporte un intervenant, l’exemple typique est celui de l’homme qui consulte parce qu’une rupture vient de survenir dans son couple :

J’aieuunhomme,[…] iln’étaitpasapteautravail.Ilvenaitdoncàcausedeça,mais,lorsque j’ai creusé, j’ai vu qu’une semaine avant, il y avait eu une rupture amoureuse. […] Souvent, quand les hommes se présentent, c’est souvent pour une rupture ou parce que le couple ne va pasbien.Lesmots:abus,violence,agression,cesontlestermesdesintervenants.(Participant au groupe #2)

Finalement, certains motifs de consultation avancés par les hommes témoignent d’une motivation davantage intrinsèque : l’homme se reconnaît comme porteur du problème présent dans la relation, mais sans nommer la violence explicitement. Comme le montre l’extrait suivant, d’autres termes sont privilégiés pour définir le problème :

[…] c’était plus des hommes qui venaient pour la gestion de la colère. Ils disaient être des hommesquiavaientdeladifficultéàgérerleurcolèreouquinecomprenaientpaspourquoiils se mettaient en colère aussi facilement. Ça va toujours tourner autour de ce mot-là. Ce n’est jamais qu’ils ont été excessifs. Ils se disent très, très en colère, qu’ils ont pété leur coche. (Participant au groupe #5)

L’emploi de formulations telles que la gestion de la colère, de l’impulsivité ou des émotions peut en effet être interprété comme une stratégie de déresponsabilisation, particulièrement par les intervenants adhérant à une analyse féministe de la violence conjugale (Couto, 2008). Toutefois, comme la problématique de la violence conjugale comporte pour les hommes une forte charge de honte, l’usage de formulations plus « douces » que celle de la violence elle-même pourrait s’avérer une stratégie d’atténuation de la honte leur permettant de se responsabiliser petit à petit (Couto, 2008). En ce sens, le recours à de telles expressions pour effectuer une demande de service ne semblait pas poser problème aux yeux de plusieurs intervenants, étant considéré comme préférable à l’absence de consultation.

Des éléments liés au vécu duconjoint

Tout d’abord, lorsqu’ils évaluent les éléments liés au vécu du conjoint, les intervenants disent accorder une grande importance aux différentes dynamiques relationnelles. La présence de conflits importants ou chroniques avec la conjointe, les enfants ou encore en milieu de travail peuvent être un premier indice de violence dans le couple :

Des fois, un homme se présente et il a des conflits ou des situations extrêmes dans toutes les sphères de sa vie : plus de contacts avec sa famille, sa blonde vient de le laisser, ses enfants ne veulent plus rien savoir… Ça me met un doute à l’esprit quand son environnement, mêmeau niveaudutravail,toutestbrisé.Souvent,peut-êtrequ’ilyadescomportementsviolentsquifont quelemondes’éloignedeluiouqu’ilperdtoutenmêmetemps.(Participant au groupe #1)

De telles situations attirent l’attention des intervenants en raison des émotions négatives qu’elles suscitent chez l’homme devant eux, surtout parce qu’ils savent que la colère, la frustration et la jalousie constituent un terreau propice à l’émergence d’une dynamique de violence dans le couple :

Des conflits répétés et non résolus. À ce moment-là, on sait que la violence commence par des choses moins menaçantes, du côté verbal par exemple, et que ça monte vers la violence psychologique et après, davantage physique. (Participant au groupe #3)

Outre le fait que certaines difficultés puissent être occasionnées par des problèmes de consommation ou masquées par une réticence de l’homme à se confier lors d’une première demande d’aide, des intervenants se sont dits sensibles à l’abus vécu par certains hommes dans leur enfance :

Avant que je réalise qu’il avait été agressé par son père dans l’enfance et que ces réactions-là, illesavaitpriseslà,çaétédifficiledesympathiseravecunepersonnecommeça.[…] ilavaitvécu tellement de violence dans son enfance que les comportements qu’il avait étaient « naturels » pour lui. (Participant au groupe #3)

Le point soulevé ici est intéressant puisque, au dire du participant, la mise en lumière d’un tel vécu présent chez quelques hommes peut avoir une influence positive sur la qualité de la relation de confiance entre l’intervenant et le client.

Des éléments liés à l’attitude duconjoint

Finalement, et c’est peut-être là l’élément le plus révélateur d’une dynamique de violence aux yeux des participants à l’étude, les groupes de discussion ont permis de cerner des attitudes chez les hommes qui peuvent servir d’indicateurs pour repérer les situations de violence conjugale.

Dans le contexte d’une consultation de couple, l’avantage est de pouvoir évaluer les interactions entre les conjoints, ce qui fournit des indices précieux sur leur dynamique relationnelle. Ainsi, dans certaines situations, il est facile de voir s’il y a un rapport de pouvoir installé par l’homme envers sa partenaire. Comme l’illustre l’extrait suivant, ce rapport de force inégal peut se traduire concrètement par une attitude paternaliste, par un contrôle plus ou moins explicite sur les propos de l’autre ou encore par des attitudes non verbales :

Souvent,desfois,lorsquel’onrencontrelecouple,ondemandel’opiniondechacunetonessaie de partager ça en temps égal pour que chacun ait sa tribune, puis, des fois quand la femme va s’exprimer, le conjoint va avoir tendance à la rabaisser, à lui dire qu’elle exagère. Tu sais, il coupe la parole ou il lui manque de respect. On établit, au début de la rencontre, les règles de fonctionnement, de communication et ça ne se passe pas comme il faut. Ou la faute estrejetée sur l’autre aussi. (Participant au groupe #1)

D’autres indicateurs reliés à l’attitude du conjoint ont également été évoqués par les intervenants dans le contexte où l’homme consulte seul. Comme lors des consultations de couple, les intervenants ont rapporté que le discours tenu par l’homme à l’égard de sa conjointe est tout aussi révélateur. Ainsi, le fait qu’il parle d’elle en utilisant des propos dégradants, désapprobateurs ou injurieux peut constituer un indice d’une situation de violence conjugale.

3.2 Aborder la question de la violence conjugale avec des hommes

En présence d’indices d’un possible recours à la violence dans le couple, différentes stratégies sont déployées pour aborder la question de la violence conjugale avec le client. Cependant, lors des discussions portant sur les stratégies à adopter, les intervenants de plusieurs groupes ont discuté vigoureusement autour de la question suivante : est-il acceptable pour l’intervenant d’utiliser un vocabulaire moins confrontant (par exemple parler de « gestion de la colère » ou de « gestion des émotions ») pour créer un lien avec un homme, ou l’intervenant doit-il nommer et dénoncer la violence dès qu’il la perçoit? En analysant le discours des répondants, il a été possible de faire ressortir certains éléments pouvant être considérés avant d’aborder la question de la violence conjugale avec les hommes.

Quelques préalables àconsidérer

En faisant référence à certains préalables à considérer, les intervenants n’estimaient pas pour autant que ces éléments assurent le succès de l’intervention, mais plutôt qu’ils peuvent être envisagés pour accroître les chances d’effectuer le repérage de situations de violence conjugale auprès des clientèles masculines. Plus précisément, les participants à l’étude ont fait état de l’importance de la syntonisation et de la création d’un lien de confiance, et ont discuté d’éléments favorisant les dispositions de l’intervenant à créer ce lien de confiance.

a. La syntonisation

Le degré de reconnaissance du conjoint par rapport à ses comportements violents et son ouverture à en discuter déterminent s’il sera possible, pour l’intervenant, d’aborder directement la question de la violence ou s’il devra prendre des moyens plus indirects pour évoquer le sujet. Que se passe-t-il justement lorsque la violence n’est pas présentée d’emblée comme étant le problème, et que la demande de l’homme vise une autre difficulté? Selon l’intervenant suivant, la réponse est sans équivoque : la façon dont l’homme formule sa demande doit constituer la principale cible d’intervention au départ :

Silepremiermotif[de consultation] cen’estpaslaviolenceetquemoi,avecmesgrossabots, je vais ouvrir là-dessus parce que je l’ai vu d’emblée, il va me demander qui je suis pour dire ça.Çaimpliquepeut-êtrederépondred’abordaumotifdelaréférence,delademande,lesamener à réfléchir là-dessus pour maintenir le lien. Après, on peut commencer à ouvrir sur une interprétation ou à amener une réflexion sur ce que l’on voit comme comportement. Mais il y a une partie qu’il faut travailler d’abord parce que, sinon, on les perd ces hommes-là. Tu sais, silemotifderéférencec’estl’enfantetquejemecentresurlecomportementdemonsieur,ilva dire que ça ne marche pas. (Participant au groupe #3)

En d’autres mots, cet intervenant soutient qu’il est nécessaire de faire preuve de syntonisation. Cette expression réfère à « l’effort fait par l’intervenant pour comprendre les sentiments et les préoccupations qui peuvent habiter le client » (Turcotte, 2011 : 34).

b. La construction d’un lien de confiance

Les intervenants interrogés ont mentionné que la création du lien de confiance avec les hommes présentant des indicateurs de comportements violents était essentielle. Ainsi, dans un contexte d’accueil psychosocial, un premier intervenant mentionne que, pour les clientèles masculines, le lien de confiance augmente les chances de persévérance dans la démarche d’aide : « Ma préoccupation, à l’accueil, est de faire accrocher l’homme pour qu’il reste en service. » À ce propos, les travaux de Dulac (2001) portant sur la demande d’aide des hommes ont révélé que le fait de demander de l’aide entrait en contradiction avec les normes de la socialisation masculine. Plus précisément, une telle démarche implique notamment de renoncer au contrôle, de se montrer vulnérable alors que la socialisation des garçons (décrite notamment par Pollack, 2001) apprend surtout à ces derniers à se montrer forts, stoïques et en contrôle. Selon Dulac (2001), le fait de demander de l’aide comporterait une forte charge de honte pour les hommes. Parallèlement, les intervenants interrogés ont également constaté que les hommes ayant des comportements violents pouvaient être sujets à la honte. L’extrait suivant montre bien en quoi ce sentiment peut influencer le lien de confiance au moment de la demande d’aide :

Souvent, l’enjeu c’est d’établir un lien de confiance parce que c’est souvent difficile de confier ceschoses-là.L’hommesesentcoupableouapeurdesefairejuger.Enplus,ilvaprobablement se demander l’impact de ce qu’il va dévoiler. (Participant au groupe #3)

c. Quelques facteurs influençant la disposition de l’intervenant à créer un lien de confiance

Il peut sembler simple de créer un lien de confiance en intervention sociale. Cependant, la problématique de la violence conjugale comporte une particularité : il s’agit, comme l’avance Bélanger (2003), d’une problématique impliquant un positionnement moral. Pour cet auteur, cela signifie que l’on y retrouve une tendance sociale à vouloir protéger la victime et à punir l’agresseur. Dans un tel cas, il n’est pas rare que l’intervenant effectue un transfert psychologique en s’identifiant à la victime et en estimant que celle-ci est la personne ayant besoin d’aide. À cette dimension s’ajoute ce que Miller et Rollnick (2002) appellent le « réflexe correcteur », soit la propension des intervenants à s’empresser de voir les problèmes du client être surmontés ou encore à vouloir formuler les objectifs à la place du client sans que ce dernier n’y adhère. Dans le contexte de la violence conjugale, où la sécurité des personnes est un enjeu, il peut être difficile de résister au réflexe correcteur. Or, comme l’ont observé les organismes spécialisés en matière de violence conjugale, l’abandon de comportements violents se fait généralement par étapes et nécessite du temps (Landry, 2010).

Pour la réussite de l’activité de repérage et de référence, il est primordial que l’aidant ait le goût de s’investir dans la relation avec l’homme potentiellement violent qu’il rencontre. Plusieurs intervenants ont formulé ce préalable pour aborder la violence en ayant recours à l’habileté d’intervention connue sous le nom de « conscience de soi ». Il s’agit de la « capacité de l’intervenant à reconnaître ses propres sentiments, ses attitudes, ses valeurs, ses mythes, ses préjugés, ses biais… et de saisir leur influence sur son intervention » (Beaudry et Trottier, 1994 : 15, dans Turcotte, 2011 : 40). Pour ce faire, un des intervenants rencontrés distingue la personne de ses comportements de violence : « Moi, j’essaie de dissocier le comportement de la personne, dans un premier temps, pour que la personne se sente moins menacée quand j’aborde un peu plus la question de la violence » (Participant au groupe #1). Une autre intervenante mentionne :

Je crois que l’attitude que j’ai y est pour beaucoup. Même si j’utilise les mots violence et agressivité[et que ça fait réagir], sijeledisd’unefaçonjesuisbienveillanteetempathique avec le client et je le supporte là-dedans, ça va passer. Ça a déjà passé avec des clients. (Participant au groupe #3)

Quelques pistes d’action pour aborder laviolence

Lorsqu’interrogés sur les outils ou les formations à leur actif pour aborder la violence conjugale avec des hommes, les intervenants ont mentionné que cette tâche spécifique était très peu ciblée par les outils et les formations. Mis à part les dépliants d’information de certains organismes pour hommes aux comportements violents qui incluent un petit questionnaire de type auto- évaluation, les éléments rapportés par les intervenants sur les aides au repérage et à la référence de situations de violence conjugale auprès des clientèles masculines relèvent de thèmes généraux, et non de la situation spécifique de leurs clients. Ainsi, pour aborder la question de la violence, les intervenants ont mentionné qu’ils adaptaient des formations et des outils existants aux réalités masculines, exploraient l’histoire relationnelle et les conflits ou encore collaboraient avec les organismes spécialisés dans l’aide aux conjoints aux comportements violents.

a. L’adaptation de formations et d’outils existants

Sur la question des formations et des outils utilisés, les données recueillies ont permis de mieux comprendre l’origine de différentes stratégies développées par les intervenants. À ce chapitre, l’adaptation des outils par les intervenants témoigne de leur grande créativité et de leur capacité à utiliser leur jugement clinique pour effectuer des transferts de connaissances vers la problématique sur laquelle porte la présente recherche.

À ce propos, le discours des participants semble indiquer que les formations en matière de violence conjugale fournissent des bases jugées satisfaisantes pour comprendre la problématique et ses enjeux, et pour intervenir auprès des femmes qui en sont victimes. Plusieurs ont toutefois souligné que ces formations n’abordaient pas suffisamment la réalité des « agresseurs » [les hommes ayant des comportements violents] et que le manque d’information sur la façon d’intervenir auprès d’eux constituait une lacune.

Acontrario, des intervenants ont mentionné que les formations portant sur la demande d’aide de la part des hommes ont été très utiles. Elles renforcent en effet la capacité de créer des liens de confiance avec des hommes, de surmonter certains préjugés et de modifier des perceptions, en plus de promouvoir l’utilisation d’un langage différent, plus près de référents dits « masculins ». L’extrait suivant illustre en quoi cette adaptation de l’intervention est importante afin d’accueillir les hommes :

Oui, c’est difficile d’être sympathique avec un agresseur, mais lorsque j’en ai un dans mon bureau,j’aiaussiuneperceptionquecethomme-làestenbesoinetqu’ilsouffre.Iln’apasappris à communiquer idéalement et j’entends aussi les besoins de l’agresseur. C’est ça qui m’aide, dans le fond, à faire mes interventions, me dire que c’est un être humain qui est dans mon bureau.Peut-êtrequ’iladesbesoinsqu’ilnereconnaîtpasoupeut-êtrequ’illesreconnaît,peu importe. Mon job c’est de lui offrir de l’aide à lui aussi, pour le bénéfice de la conjointe, des enfants, de la famille, mais aussi pour son propre bénéfice. (Participant au groupe #3)

Certains intervenants ont aussi mentionné que des formations touchant l’approche motivationnelle pouvaient fournir de précieux outils pour travailler avec les hommes ayant des comportements violents. En bref, selon un participant, cette approche « vise à aller chercher la motivation de la personne qui n’est pas tant un ”client ” [n’est pas mobilisé] » (Participant au groupe #2) par rapport à une situation donnée. Dans le même ordre d’idées, un autre intervenant mentionne que :

Dans les situations où il y a eu des gestes de violence, j’ai appris, en PNL [programmation neurolinguistique], à aller derrière le comportement pour voir l’intention positive. Je ne dis pas que la violence est quelque chose de positif, mais que le client a une intention derrière : se protéger ou peu importe. J’essaie d’ouvrir avec lui par rapport à ça. Habituellement, c’est ma façon, voir s’il se protège, s’il a peur de la perdre, s’il veut exprimer une souffrance, etc. (Participant au groupe #3)

Les intervenants ont également rapporté avoir recours à des outils écrits pour aborder la question de la violence conjugale avec des clientèles masculines. Il est toutefois intéressant de constater que, sauf exception, aucun des outils évoqués ici ne s’adressait directement aux hommes à l’origine. Dans les faits, il s’agit d’adaptations d’outils tels que le cycle ou l’escalade de la violence, des outils initialement conçus pour aborder la violence conjugale avec les femmes.

b. L’exploration de l’histoire relationnelle et des conflits

Les participants à l’étude ont aussi dit explorer certains aspects de la vie des hommes ou encore utiliser des techniques d’entrevue afin d’amener les hommes à aborder eux-mêmes la violence présente dans la relation. Concrètement, certains ont mentionné que l’exploration de la violence pouvait se faire, de manière indirecte, en abordant l’histoire de la relation, ou encore un épisode de conflit. Une telle stratégie permet, selon les intervenants, d’explorer les émotions vécues par l’homme et de les refléter, ce qui peut renforcer le lien de confiance et augmenter les chances de mobilisation de ce dernier. Aussi, discuter des gestes violents de manière indirecte permet aux intervenants de sensibiliser l’homme aux répercussions de ses comportements violents sur l’ensemble de la famille et sur lui-même. En normalisant les difficultés de l’homme à demander de l’aide et à révéler des comportements agressifs ou violents, les intervenants atténuent suffisamment la honte qui pourrait empêcher les hommes d’aller frapper aux portes des ressources spécialisées en violence. Cet aspect est important puisque, selon les intervenants, si la charge de honte de l’homme devient trop intense, ce dernier risque d’abandonner sa démarche./

c. L’utilisation du lien avec les organismes pour hommes en violence

Comme dernière stratégie pour aborder la violence, les intervenants ont mentionné qu’une connaissance minimale du fonctionnement des organismes venant en aide aux hommes ayant des comportements violents (mandat, services offerts, procédures d’accueil) s’avère aussi un outil précieux pour faciliter la référence puisqu’elle permet de mettre en place des éléments aidant à la transition des hommes vers ces organismes. À titre d’exemple, il peut arriver que les intervenants communiquent directement avec les organismes en question afin de valider la pertinence de leur référence et de préparer le terrain pour l’arrivée de l’homme. C’est l’idée qu’un participant exprime dans l’extrait suivant :

Moi, ça peut sembler banal un peu, mais j’appelle à [nom de l’organisme]. Je discute avec quelqu’unetjedisquej’aiunclientquiateloutelcomportement,queçapeutrentrerdansles critères d’un homme qui a des comportements violents et je demande ce que l’intervenant en pense. […] Je peux aussi le faire en présence du client. (Participant au groupe #1)

3.3 Les suggestions pour l’outil à créer et les besoins des intervenants

À propos de l’outil visant à mieux reconnaître les hommes ayant des comportements violents et à les orienter vers les ressources adéquates, le personnel de recherche a demandé aux intervenants de décrire la forme et le contenu qu’ils aimeraient voir associés à l’outil. Les répondants ont divisé leurs réponses en deux catégories : les suggestions relatives à un outil qui s’adresserait directement à la clientèle et celles concernant un outil leur étant destiné. Le tableau 1 résume leurs principales suggestions quant à la forme et au contenu de ces outils.

Bien que l’équipe de recherche ait accordé la priorité aux besoins des intervenants relativement à un outil leur étant destiné, il est tout de même intéressant de s’attarder aux préoccupations émises par ces derniers pour le développement d’un outil de repérage et de référence s’adressant à la clientèle. Tant dans le contenu que dans la forme, les propos des participants à l’étude ont permis d’identifier qu’un tel outil devait être accessible (bilinguisme, difficultés de lecture) et non stigmatisant (questionnaire anonyme, termes « adoucis »), et miser sur le potentiel de changement des hommes (image positive, écho aux émotions négatives vécues).

Les suggestions relatives à l’outil s’adressant aux intervenants, quant à elles, ont permis de cerner différents besoins présents chez les aidants lorsqu’ils réalisent le dépistage de situations de violence auprès de clientèles masculines. Pour faciliter la compréhension de ces besoins, ceux-ci ont été regroupés autour des quatre catégories de savoirs, soit le savoir, le savoir-faire, le savoir-être et le savoir-dire.

Ainsi, le fait de connaître les particularités de la demande d’aide des clientèles masculines et celles des hommes ayant des comportements violents apparaît comme les principaux éléments reliés au savoir des intervenants. Les besoins sur le plan du savoir-faire et du savoir-dire, pour leur part, reposent surtout sur la capacité des intervenants à moduler l’intervention selon les particularités des clientèles masculines et selon le degré de reconnaissance de la violence qu’affiche l’homme. Il semble également utile d’établir la priorité d’intervention dans les cas présentant des problématiques multiples, de créer un lien de confiance avec la personne et de savoir mobiliser et motiver le client à amorcer un processus de changement et à consulter une ressource d’aide spécialisée. Dans le registre du savoir-être, le fait de composer avec son rapport personnel au thème de la violence conjugale (besoin de nommer la violence ou non, mécanismes de transferts affectifs, position face à l’analyse féministe de la violence conjugale, etc.) apparaît également utile à l’intervention.

Tableau 1 :
Suggestions des intervenants quant à la forme et au contenu de l’outil de dépistage et de référence selon qu’il s’adresse à la clientèle ou aux intervenants

Il est certain que les besoins des intervenants peuvent varier en fonction des connaissances qu’ils ont de la problématique de la violence conjugale, des clientèles masculines, des contacts antérieurs qu’ils ont eus avec les ressources pour conjoints ayant des comportements violents ou encore en fonction de leur expérience. Cependant, comme l’outil développé devrait répondre au plus grand nombre de besoins possibles, les membres de la TOHOM ont cherché à considérer l’ensemble de ces éléments.

4. Brève description de l’outil créé

En se basant sur les données de recherche, les membres de la TOHOM ainsi que le comité aviseur de la recherche ont choisi de créer, à titre d’outil de repérage et de référence des clientèles masculines ayant des comportements violents, une trousse d’information à l’intention des intervenants, à diffuser au sein de la Montérégie3. Ce choix a principalement été retenu en raison de la grande quantité d’information souhaitée ainsi que de la diversité des thèmes à couvrir. De plus, le fait que l’outil destiné aux intervenants ait été privilégié s’explique par la présomption des membres du comité aviseur selon laquelle il était plus efficace d’outiller les intervenants plutôt que de s’adresser directement à la clientèle masculine.

Concrètement, il a été décidé que la trousse se composerait de deux parties distinctes. Une première partie, appelée « Guide d’accueil, d’analyse et de référence », présente aux intervenants différentes connaissances théoriques pour les guider dans leurs activités de repérage et de référence des clientèles masculines ayant des comportements violents. Plus précisément, les différents types de violence conjugale et de clientèles sont abordés, de même que les particularités de la demande d’aide des hommes. Par la suite, ce premier document comprend quelques pistes pour faciliter la référence ainsi qu’une « boîte à outils » pour aider les intervenants à repérer la violence et à aborder le sujet avec les hommes (questions utiles en entrevue individuelle, comportements et attitudes à observer, balises pour aider l’homme à faire son auto-évaluation de risques liés aux comportements violents). Dans un souci de diffusion de leur approche, les membres de la TOHOM ont choisi que ce premier document soit commun à l’ensemble de ses organismes.

La deuxième partie de la trousse vise à présenter le travail spécifique effectué dans chaque secteur de la Montérégie. Intitulé « Grille personnalisée de présentation des organismes », ce second document expose des informations propres à chaque membre de la TOHOM aux fins de diffusion sur son territoire. Ainsi, on y retrouve une présentation du mandat, de la mission et de l’historique de chaque organisme. Par la suite, les services offerts et les coûts sont exposés, suivis d’une présentation de l’approche d’intervention et du fonctionnement des services. Finalement, dans sa fiche personnalisée, chaque membre de la TOHOM propose sa façon habituelle de procéder pour faciliter l’arrimage entre les ressources.

CONCLUSION

L’outil créé par les membres de la TOHOM vise à faciliter la tâche des intervenants quant au repérage et à la référence des clientèles masculines ayant des comportements violents, tant chez les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux que ceux œuvrant auprès des hommes dans les organismes spécialisés en violence. L’outil proposé offre plus spécifiquement une synthèse de différentes connaissances, issues tant d’ouvrages scientifiques que de la pratique, pouvant s’avérer utiles aux intervenants dans leurs activités cliniques. L’usage d’un support écrit complet qui demeure dans les milieux permet également de contrer l’effet d’oubli occasionné par le roulement de personnel au sein des équipes d’accueil des CLSC. Cet outil permet également à ces professionnels d’avoir une meilleure connaissance des services offerts par les ressources œuvrant auprès des hommes en violence ainsi que de leur fonctionnement. C’est d’ailleurs dans cette optique que, depuis 2012, l’outil en question est utilisé par les membres de la TOHOM dans leurs représentations, tant dans les CLSC qu’auprès d’autres partenaires des milieux d’intervention (milieu communautaire, centre hospitalier, centres jeunesse, etc.).

Cet outil ne peut toutefois pas répondre à tous les besoins. La présente recherche a notamment fait ressortir l’absence d’information portant spécifiquement sur les questions entourant les auteurs de violence dans les formations en matière de violence conjugale. Il est également apparu que le fait de mettre à la disposition du public des outils de sensibilisation (notamment en ligne) destinés aux auteurs de violence pourrait se révéler utile. Les données issues de la recherche indiquent toutefois que le vocabulaire employé est important dans ce type d’outil puisqu’il doit rejoindre la clientèle masculine, ne pas être trop culpabilisant et inciter le client à se mobiliser pour changer ses comportements. Ce sont là des avenues à explorer dans un avenir rapproché pour sensibiliser non seulement les hommes et leur entourage mais l’ensemble de la population à la problématique de la violence conjugale et à ce que peuvent faire les hommes pour contribuer à enrayer ce problème social.

ABSTRACT:

Considering that, when in counselling, men with violent behaviours do not tend to define violence as the main reason for consultation, practitioners’ ability to identify and refer these men to specialized therapeutic resources for people with violent behaviour appears to be vitally important. This article tells of a research project in the Montérégie whose objective was to create, in coordination with first responders in the health and social services sector, a clinical tool to facilitate the identification and referral of potential situations of domestic violence among male clients. Specifically, it talks about the elements used by clinicians to identify situations of domestic violence, the strategies used to address the issue of violence and present the tool.

KEY WORDS:

Domestic violence; men with violent behaviour; male clientele; intervention practices; identification; referral; social services; Montérégie


Notes

  1. Aux fins du présent article, le masculin sera employé dans le simple but d’alléger le texte et réfère à la fois aux aidants de sexe masculin et féminin.
  2. La TOHOM regroupe les cinq organismes de la Montérégie intervenant en prévention de la violence conjugale auprès des hommes : AVIF, Entraide pour Hommes Vallée-du-Richelieu/Longueuil, Maison Le Passeur, Ressource pour hommes de la Haute-Yamaska et Via l’anse.
  3. Toute personne intéressée à se procurer cette trousse peut contacter un organisme membre de la TOHOM : AVIF (Châteauguay), Entraide pour Hommes Vallée-du-Richelieu/Longueuil (Longueuil et Beloeil), Maison Le Passeur (Sorel-Tracy), Ressource pour hommes de la Haute-Yamaska (Granby) et Via l’Anse (Valleyfield). Les coordonnées de ces organismes sont disponibles au www.acoeurdhomme.com. L’outil peut également être consulté au http://vialanse.com/partenaires/outils/

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