Après plus d’un demi-siècle de recherches, l’existence des inégalités sociales de santé n’est plus un phénomène à démontrer. Il existe un écart entre l’état de santé des populations riches et pauvres (Guinchard, Potvin, 2010). Cependant, devant cette réalité partagée par la majorité des spécialistes contemporains, les inégalités sociales de santé n’ont pas reculé, mais au contraire, elles persistent et s’aggravent (De Koninck, Fassin, 2004). Face à ce constat, de plus en plus de voix s’élèvent pour démontrer que les inégalités sociales de santé seraient davantage causées par des facteurs structuraux tels que l’érosion des protections sociales et l’effritement de l’État Providence affectant ainsi des déterminants sociaux importants de la santé tels que les conditions de travail, le revenu, les conditions de vie et de logement, l’accès aux soins de santé et aux services sociaux et l’accès à l’éducation (Mikkonen, Raphaël, 2011).
La revue Intervention a souhaité interpeler chercheurs et praticiens en travail social afin qu’ils nous fassent part de leurs résultats de recherches ou encore de pratiques d’intervention orientées vers la réduction des inégalités sociales de santé. En matière de réduction des inégalités sociales de santé, il existe des stratégies gagnantes qui ont pour particularité d’être orientées vers des actions à visées globales situées hors du champ strictement dévolu à la santé (OMS, 2008). À cet effet, le travail social est une discipline et une profession tout à fait à la hauteur pour relever ce défi. Ayant non seulement pour fondements et valeurs la justice sociale, le travail social a aussi développé une expertise et un savoir-faire pour intervenir à la jonction de l’individu et de son environnement grâce à une compréhension et une prise en considération des facteurs sociaux (OTSTCFQ, 2013).
Pour traiter de cette thématique particulière, ce numéro de la revue Intervention s’ouvre avec un article écrit par André-Anne Parent et Denis Bourque. Les auteurs présentent trois stratégies d’intervention qui seraient les plus susceptibles de réduire les inégalités sociales de santé. Les stratégies d’intervention s’appuyant sur l’empowerment ainsi qu’une approche participative constitueraient des avenues intéressantes en travail social notamment parce qu’elles permettent d’insuffler un changement au niveau des politiques publiques et de favoriser un développement des communautés tourné vers l’amélioration des conditions de vie.
Les deux articles suivants présentent les résultats de recherche effectuée auprès de groupes marginalisés qui subissent les effets des inégalités sociales de santé. À partir d’une étude effectuée auprès des femmes pauvres vivant en milieu rural et côtier en Acadie et au Nouveau-Brunswick, Lise Savoie, Isabel Lanteigne, Hélène Albert et Isabelle Robichaud, présentent les obstacles rencontrés par ces femmes dans la prise en charge de leur santé. Il en ressort que le faible revenu, la localisation géographique et la stigmatisation vécue sont des obstacles importants à l’amélioration de leur état de santé. De son côté, l’article de Nengeh Maria Mensah présente les résultats d’une étude portant sur la mise en récit, sous forme de témoignage public, d’expériences vécues par les personnes vivant avec le VIH/sida. L’auteure analyse le témoignage public comme une stratégie d’intervention intéressante pour agir sur les déterminants sociaux de la santé dans la mesure où celui-ci favoriserait la réduction des préjugés, la participation citoyenne et l’inclusion sociale des personnes vivant avec le VIH/Sida.
Sous la rubrique « récit de pratique », le texte intitulé Tableau de bord des communautés de l’Estrie : mieux connaître pour mieux agir! présente une expérience de développement des communautés réalisée dans la région de l’Estrie et visant la réduction des inégalités sociales de santé. Le Tableau de bord des communautés collige de nombreuses données qualitatives et quantitatives sur la région et a pour objectif de favoriser la concertation entre les acteurs concernés quant à la planification des actions, la vision du territoire et la vision des problèmes et des solutions. De son côté, l’article intitulé Multiplier les modèles d’habitation innovants pour une meilleure santé des aînés et des communautés traite d’un déterminant social de la santé important soit logement. Plus précisément, les auteurs présentent, à partir d’une revue de littérature, différents modèles d’habitation pour les aînées et pouvant faire figure de modèle alternatif au modèle actuel dominant développé au Québec.
La revue Intervention est également fière de présenter une entrevue réalisée avec Paul Bywaters, travailleur social, professeur et fondateur du SWHIN (Social Work and Health Inequalities Network). Paul Bywaters a, tout au long de sa carrière, contribué à la reconnaissance du rôle majeur que joue le travail social dans la réduction des inégalités sociales de santé et la promotion des déterminants sociaux de la santé. L’entrevue permettra aux lecteurs de bien saisir quel est le rôle spécifique du travailleur social ainsi que les approches dont il dispose afin d’agir sur les déterminants sociaux de la santé.
Toujours dans notre section thématique, l’article intitulé Déterminants sociaux de la santé et exercice de la parentalité : regard sur le vécu des parents ayant un trouble mental, traite d’un sujet peu abordé en travail social, mais ayant son importance dans un contexte de désinstitutionnalisation des soins psychiatriques, soit la question de la parentalité chez les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Quant à l’article intitulé Les hommes à faible revenu et les barrières aux services sociaux et de santé : des défis pour le réseau des services, les auteurs cherchent à expliquer pourquoi les hommes à faible revenu ont peu recourt aux services de santé et aux services sociaux. Les auteurs identifient les facteurs suivant : la stigmatisation vécue, l’accès aux services et l’appartenance à une culture populaire.
Dans la section hors thématique, Lyne Douville et Jean-Luc Lacroix nous présentent la technique de la « sculpture familiale » employée par les thérapeutes conjugaux et familiaux. Après une brève présentation des concepts aux origines de cette technique, les auteurs exposent l’utilisation qui en est faite auprès des familles, mais aussi auprès des intervenants. Enfin, deux articles se penchent sur des problématiques contemporaines auxquels les travailleurs sociaux, les intervenants et les institutions du réseau de la santé doivent désormais faire face. Caroline Pelletier et Marie Beaulieu exposent certains enjeux soulevés par le vieillissement démographique et les réformes au réseau de la santé, se questionnant notamment sur la capacité du réseau de la santé à accueillir toujours davantage d’usagers âgés de 65 ans et plus. Éric Couto, Mario Trépanier et Pierre Turcotte abordent de leur côté le thème de la violence masculine en présentant un projet de recherche réalisé récemment en Montérégie et dont l’objectif était de développer un outil d’intervention afin d’augmenter la capacité des intervenants à repérer les hommes ayant des comportements violents et à les référer aux ressources appropriées.
La revue Intervention abandonne sa version papier
Ce numéro de la revue Intervention est le dernier offert sur support papier. Seuls les établissements d’enseignement recevront une copie imprimée. Pour étendre son rayonnement à l’ensemble de la francophonie, Intervention tourne la page et passe donc en mode numérique, joignant ainsi la tendance de plus en plus marquée dans le monde de l’édition scientifique. Libérée de son enveloppe ligneuse, Intervention consacrera la totalité de ses énergies et de ses ressources à la diffusion de contenus professionnels et scientifiques de qualité, comme elle le fait depuis le début.
Notes
- De Koninck, M. et D. Fassin (2004). « Les inégalités sociales de santé, encore et toujours », santé, société et solidarité, no. 2, 5-12.
- Guinchard, A. et L. Potvin (2010). « Pourquoi faut-il s’intéresser aux inégalités sociales de santé?, p.35-51 dans Potvin, L., Moquet, M.J. et C.M. Jones (sous la dir.), Réduire les inégalités sociales de santé, St-Denis : INPES, coll. Santé en action.
- OMS (2008). Combler le fossé en une génération : instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, rapport final de la Commission des déterminants sociaux de la Santé.
- OTSTCFQ (2013). L’intervention sociale individuelle en santé mentale dans une perspective professionnelle. Énoncé de position, Montréal : OTSTCFQ.