Lors de l’appel à contributions du présent numéro, nous étions devant le constat que peu d’articles provenaient des expériences terrain des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec. Ce fut un immense plaisir de constater l’intérêt qu’a suscité cet appel. Ce thème a suscité tellement d’enthousiasme que deux volumes y sont consacrés : le présent volume, dont le thème principal est la famille, et un deuxième volume (à paraître au printemps 2019) portant sur la thématique des récits de pratique dans le domaine de la santé mentale. Deux volumes aux thèmes distincts, mais ayant en commun de présenter des mises en récit sur la pratique tant du point de vue des intervenants sociaux que des personnes auprès de qui ils interviennent. Il est réjouissant de constater à quel point ces deux volumes sont composés d’articles écrits par des auteurs issus de milieux diversifiés : étudiants gradués, professeurs, chercheurs, praticiens en milieu institutionnel ou communautaire, ou encore en pratique autonome. À cette première diversité s’en ajoute une autre, qui témoigne à notre avis de la richesse du travail social et de la thérapie conjugale et familiale : la diversité des postures, des angles d’analyse et des pratiques développées.
Dans le cadre du présent volume, la diversité des postures et des angles d’analyse est mise en évidence par une première série d’articles qui démontrent, chacun à sa manière, l’intérêt des approches participatives et collaboratives en travail social. Un premier article, intitulé Les ateliers Espace Parents : analyse de la genèse d’une intervention de soutien à l’adaptation du rôle parental en contexte d’immigration, présente un projet d’ateliers destinés aux familles immigrantes nouvellement arrivées au Québec. Les auteures y rendent compte de la démarche participative sous-jacente à la réalisation de ces ateliers, démarche issue d’une collaboration entre toutes les parties prenantes au projet, à savoir les milieux communautaire, institutionnel et universitaire, ainsi que les personnes immigrantes. Toujours sur le thème de l’immigration et de la famille, mais cette fois du côté des minorités sexuelles et de genre, l’article de Cynthia Beaudry présente une intervention de groupe qu’elle a codéveloppée avec cette population. Croisant les approches intersectionnelle, post-structurelle et informée par le trauma, l’auteure explique comment le groupe d’entraide mutuelle peut constituer une avenue pertinente pour développer un sentiment d’ancrage et d’appartenance autour de l’idée de la famille choisie, contrer les effets d’oppression et ouvrir la porte vers une action collective visant à prévenir et à composer avec le trauma. Ce récit a pour particularité de dépeindre la façon dont peut prendre forme, dans la pratique, une posture issue des théories critiques en travail social.
De son côté, l’article intitulé Je ne m’identifie pas comme fille, je suis une fille : être jeune, trans et placé.e par la Protection de la jeunesse, de Valeria Kirichenko et Annie Pullen Sansfaçon, rend compte de la réalité vécue par les jeunes trans en contexte de placement à partir d’un angle d’analyse critique (la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth), mais également d’une méthodologie de recherche privilégiant une co-construction des savoirs entre chercheur et participants. Deux thématiques abordées par les jeunes sont mises de l’avant : le déni de reconnaissance de l’identité de genre et l’absence de soutien pour faire face au mépris.
L’article de Nathalie Plante, quant à lui, examine les représentations sociales véhiculées par les intervenantes œuvrant en protection de la jeunesse par rapport à celles qui prévalent en maisons d’hébergement pour femmes en matière d’intervention en situation d’exposition à la violence conjugale. Mettant en relief deux contextes organisationnels aux assises profondément différentes, l’auteure montre comment s’y développent des pratiques d’intervention basées sur des lectures distinctes du problème, de ses conséquences et du rôle à adopter comme professionnel. Reconnue par la loi comme étant de l’ordre du mauvais traitement psychologique chez les enfants, la problématique de l’exposition à la violence conjugale est de plus en plus considérée comme un problème public, soulevant du même coup, explique l’auteure, la question des formes de collaboration à établir entre ces deux milieux afin de développer des pratiques susceptibles d’aider les personnes aux prises avec cette problématique.
Indirectement liés à la question de l’intervention auprès des familles, mais tout à fait ancrés dans des approches participatives et collaboratives, le récit de pratique de Jacques Roy et celui de Philippe Roy et Lisa Ellington nous informent sur deux types d’outils d’intervention. Le récit de Jacques Roy, issu de son expérience à titre d’intervenant social à AutonHommie, propose « une réflexion sur l’importance de tenir compte des forces et de l’expérience des hommes dans l’intervention ainsi que du rapport de cultures existant dans la relation entre l’intervenant et son client ». Dans le texte intitulé Le culturagramme : outil d’exploration culturelle et migratoire pour mieux comprendre les réalités vécues par la clientèle autochtone en travail social, Philippe Roy et Lisa Ellington proposent l’adaptation du culturagramme comme outil d’intervention auprès des communautés autochtones. Cette adaptation est le fruit d’une collaboration avec de futurs intervenants sociaux du Centre des Premières Nations Nikanite et vise à assurer une meilleure sécurité culturelle aux personnes et aux familles autochtones. Enfin, sous la rubrique débats et analyses critiques, François Aubry et Yves Couturier présentent un point de vue critique sur les modalités d’imposition des normes de qualité de vie associées à l’approche milieu de vie dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). S’objectant aux pratiques de type top-down ayant cours actuellement dans la mise en œuvre des programmes publics, les auteurs soutiennent qu’il y aurait avantage à ce que tous les membres de cette organisation, et plus spécifiquement les préposés aux bénéficiaires, participent activement à la définition et à la mise en œuvre de l’approche milieu de vie afin d’accroître la qualité des pratiques et l’humanisation du milieu de vie.
Toujours dans une perspective axée sur la diversité des angles et postures d’analyse, le présent volume propose une deuxième série de récits de pratique qui abordent plus spécifiquement l’intervention familiale clinique. À ce titre, le texte de Lorraine Filion portant sur le coaching coparental auprès des familles séparées ainsi que celui de Dominic d’Abate et Amanthe Estiverne Bathalien sur la coordination parentale auprès de coparents en situation de conflit intense présentent des exemples de cas cliniques tirés de leur pratique visant à exposer et à définir le coaching coparental et la coordination parentale. Ces deux textes ont également pour particularité de montrer comment, sur le terrain de la famille, le travail social peut innover en investissant un nouveau champ, celui de la médiation familiale. Pour terminer cette section thématique, nous ne pouvions laisser de côté la thérapie conjugale et familiale, profession qui place la famille et ses défis contemporains au cœur de la pratique. À ce titre, l’article de Lyne Douville présente, à partir d’entretiens réalisés auprès de formateurs séniors en thérapie conjugale et familiale, les composantes de la supervision clinique propre à cette profession.
La section consacrée aux pistes de lecture présente trois ouvrages parus entre 2017 et 2018. Le premier, commenté par Sylvie Dubord, s’intitule L’homoparentalité. Des familles sous le signe de la diversité. Cet ouvrage, publié aux éditions du CHU Sainte-Justine, a été écrit par Isabelle Côté et Claudette Guilmaine, deux travailleuses sociales d’expérience. En deuxième lieu, Jean-Martin Deslauriers, travailleur social et professeur à l’École de service social de l’Université d’Ottawa, commente un ouvrage récemment publié aux Presses de l’Université Laval, intitulé Intervenir auprès d’hommes en difficulté. La dernière piste de lecture présente la 2e édition du livre Méthodologie de l’intervention sociale personnelle, dirigé par Daniel Turcotte et Jean-Pierre Deslauriers. Cette piste de lecture a été rédigée par Kharoll-Ann Souffrant, travailleuse sociale, étudiante à la maîtrise à l’Université McGill et lauréate du prix Relève 2018, décerné par l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.
En dernier lieu, nous souhaitons remercier tous les auteurs qui ont pris part à la rédaction de ces articles. Nous nous réjouissons de votre contribution. Que d’émotions, de passion, d’amour du métier et de générosité vous avez partagés, quelle richesse vous nous avez offerte!