RÉSUMÉ :
Le phénomène de la judiciarisation de la maladie mentale est intimement lié, entre autres, à la désinstitutionnalisation, aux difficultés d’accès aux services de santé ainsi qu’à la stigmatisation. La judiciarisation peut se faire par diverses voies d’accès; celle que nous aborderons dans cet article est majoritairement empruntée par les proches et les familles en instance de dernier recours. En effet, la loi P-38 leur permet, par le truchement d’une requête de garde provisoire adressée à la Cour du Québec, de contraindre une personne à une évaluation psychiatrique. Cette étude participative vise à explorer le vécu de proches-aidants qui ont eu recours à ce type de requête en situation de crise. Afin de mieux comprendre les circonstances ayant motivé cette action coercitive, nous avons interrogé 26 proches-aidants qui en ont fait l’expérience. Nos résultats font état d’une organisation de services en santé mentale privilégiant une approche curative et susceptible d’instrumentaliser les proches-aidants et les intervenants en présence d’une dégradation de la santé et du bien-être de la personne aidée, interprétée en tant que dangerosité. C’est donc face à l’inadmissible, à la détresse aiguë de l’entourage et de la personne elle-même, que le recours au système judiciaire se concrétise. Ce qui devait être, selon la Loi, une mesure d’exception, semble être devenu, dans la pratique, une modalité d’accès aux services dans un contexte de restructuration et de réformes des services sociaux et de santé au Québec.
MOTS-CLÉS :
Proche-aidant, requête de garde provisoire, loi P-38, judiciarisation, santé mentale
ABSTRACT:
The phenomenon of the judiciarization of mental illness is closely linked to factors such as deinstitutionalization and the difficulty of accessing health services as well as stigmatization. Iudiciarization can take a number of avenues. The one addressed in this article is the one taken, as a last resort, by the majority of families and loved ones. In fact, Bill P-38 allows them, via a petition for provisional custody to the Court of Québec, to compel a person to submit to a psychiatric evaluation. This participatory research seeks to explore the experience of caregivers who have resorted to this type of petition in a crisis. In order to better understand the circumstances that motivated this coercive measure, we interviewed 26 caregivers who have taken this route. Our results reveal an organization of mental health services that favours a curative approach likely to provide caregivers and other stakeholders with the tools to deal with deterioration in the health and wellbeing of the person who is deemed to present a danger. It was the inadmissibility and acute distress of the person involved as well as his immediate entourage, therefore, that made it necessary to resort to the judicial system. What should, according to the law, be an exceptional measure appears to have become, in practice, a form of access to services in the context of the reorganization and reform of Québec’s health and social services.
KEYWORDS:
Caregiver, request for provisional custody, Bill P-38, judiciarization, mental health