Ce numéro de la revue Intervention propose un regard large sur la proche aidance afin d’y inclure la pluralité des réalités associées à ce phénomène et aussi d’en offrir une vision décloisonnée. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une réalité nouvelle, la proche aidance étant somme toute bien présente dans la pratique du travail social, on observe qu’elle occupe de plus en plus de place dans la sphère publique, qu’elle semble se vivre de manière moins isolée – par le concours notamment des différents groupes et associations qui soutiennent les proches aidants – et que le phénomène de la proche aidance est désormais relié à de nouveaux contextes d’aide qui n’étaient pas nécessairement identifiés comme tels antérieurement. La reconnaissance du phénomène et des besoins des proches aidants qui exercent un rôle de soutien essentiel au quotidien tend à être plus marquée sur le plan politique et social. Au Québec, le chantier lancé en 2018 par Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, visant l’élaboration de la première politique nationale pour les personnes proches aidantes, est un exemple concret de ce pas vers une reconnaissance plus tangible de la contribution des personnes proches aidantes à notre société. Le projet de loi 56 a d’ailleurs été déposé à l’Assemblée nationale le 11 juin 20201 et fera l’objet d’une consultation en commission parlementaire au cours de l’automne 2020.
Par ailleurs, l’idée de ce numéro sur les proches aidants a germé bien avant la pandémie de la Covid-19, cette nouvelle réalité de santé publique à laquelle nous avons toutes et tous dû nous adapter au quotidien. Il va sans dire que la proche aidance en temps de Covid-19 pourrait faire l’objet d’un numéro à elle seule, dans la perspective de documenter des nouvelles connaissances sur le phénomène, de répertorier les expériences personnelles et professionnelles, et de dégager des solutions utiles pour la pratique du travail social, mais surtout pour rendre le vécu des proches aidants plus humain dans un contexte si inédit. Parce que les personnes proches aidantes sont « plus que des visiteurs » (#PlusQueDesVisiteurs) dans le système de santé et de services sociaux2, il est pertinent – plus que jamais et encore plus en temps de pandémie – de reconnaître la contribution et la place essentielle des proches aidants dans les pratiques cliniques. En travail social, se ramener à une perspective systémique, la placer réellement au cœur de nos analyses et de nos pratiques, est une voie prometteuse pour inclure les proches aidants dans le système-client et ainsi les considérer comme des personnes qui font partie du système et qui ont le droit elles aussi de recevoir du soutien, des soins et du répit même si elles ne s’identifient pas toujours comme telles. Cette perspective permet également d’éviter de travailler en silo, de favoriser les pratiques en partenariat et d’établir de réelles collaborations entre les personnes proches aidantes et les équipes de soins et d’intervention. En collaborant avec tous les systèmes impliqués dans la situation, il devient possible d’obtenir une analyse transversale des situations de proche aidance et d’en dégager des pistes d’intervention communes ou plus spécifiques selon les contextes d’aide. Les travailleuses et les travailleurs sociaux peuvent assurément contribuer à relever ce défi.
L’appel à contributions sur ce thème d’actualité a eu une réponse foisonnante et les propositions de textes que nous avons reçues mettent de l’avant la diversité de la proche aidance en 2020. La pluralité des visages, des âges et des contextes dans lesquels se vit l’exercice de ce rôle de soutien est au cœur de ce numéro, et y parait en même temps sous un angle transversal. À la lecture de ces textes, on constate rapidement que plusieurs situations de proche aidance, malgré leur singularité ou leur contexte particulier, posent certains enjeux similaires, notamment concernant la réponse aux besoins des proches aidants. Au fond, les personnes proches aidantes partagent plusieurs similarités en matière de vécu expérientiel, d’impacts et de besoin de soutien. Ce numéro donne donc la parole à des cliniciens, des professeurs, des chercheurs et des étudiants. Il témoigne de la richesse des regards posés sur le phénomène de la proche aidance en regroupant une quinzaine de textes, qui sont présentés dans les prochaines lignes.
Le regard de la recherche pour mieux comprendre le phénomène de la proche aidance
La première partie du numéro invite à poser un regard pour mieux comprendre le phénomène de la proche aidance à partir de résultats de recherches menées par des chercheurs qui sont des acteurs de premier plan dans le domaine de la proche aidance. Dans le texte d’introduction au numéro, Marie-Hélène Deshaies documente l’émergence et le déploiement au Québec des personnes proches aidantes en tant que catégorie sociale et en tant qu’acteur collectif. Elle rappelle comment les proches aidants ont pris un espace de parole collective à travers la mise en place d’associations de soutien et de défense de droits. Puis, Mélanie Gagnon, Catherine Beaudry et Freddy Cokou Hessou présentent les résultats d’une recherche qualitative réalisée auprès de 42 participantes afin de rendre compte des raisons pour lesquelles les proches aidantes en emploi ne recourent pas aux services offerts par les divers regroupements d’aidants. Le texte suivant, proposé par Sophie Éthier et ses collaboratrices, fait état d’une imposante démarche de recherche basée sur une recension d’écrits, des entrevues individuelles de même que des entrevues de groupe auprès de personnes proches aidantes et d’intervenants, qui ont permis de documenter la maltraitance envers les personnes proches aidantes. L’article qu’elles proposent ici présente les résultats d’une recherche-action qui a mené à l’élaboration d’une boite à outils de sensibilisation à la maltraitance visant la promotion d’une culture de bientraitance envers les personnes proches aidantes. Par la suite, Katharine Larose-Hébert met en lumière le rôle complexe des proches aidants lorsqu’ils ont recours à une requête de garde provisoire afin de contraindre une personne atteinte de maladie mentale à une évaluation psychiatrique. Basée sur une étude participative où 26 entrevues ont été menées auprès de proches aidants, la chercheuse explore le vécu des proches aidants qui ont recours à ce type de requête en situation de crise et dégage des constats liés à la judiciarisation de l’accès aux services en santé mentale. Le texte suivant, rédigé par Josée Chénard, met de l’avant un autre visage de la proche aidance en présentant l’expérience des proches impliqués auprès d’un enfant ayant une condition médicale complexe. Issus d’une recherche qualitative où des entrevues ont été réalisées principalement auprès de grands-parents, la chercheuse dégage les faits saillants de leur expérience, de même que les interventions à privilégier auprès de ces familles. Enfin, Sophie Arborio documente le vécu expérientiel des aidants dans le contexte d’une maladie rare, plus particulièrement les cas d’épilepsie grave. En ayant recours au récit biographique, elle met en lumière les caractéristiques de la prise en charge pour ces familles, mais aussi – et surtout – le travail de réflexion qui permet de transformer cette expérience d’aide, de « prise en charge de l’instant », en apprentissage.
Le regard de la pratique pour mieux comprendre l’expérience de la proche aidance
La deuxième partie de ce numéro propose des récits de pratique qui permettent de mieux comprendre l’expérience de la proche aidance du point de vue de praticiens en travail social. Ces textes mettent notamment de l’avant l’apport essentiel des milieux de pratique communautaires pour soutenir les personnes proches aidantes. Charlotte Beaudet et Audrey Allard nous entraînent d’abord dans un récit de pratique basé sur des histoires de cas inspirées par les interactions concrètes avec des proches aidants qui sollicitent le service Info-aidant de l’organisme L’Appui pour les proches aidants d’aînés. Ces récits révèlent la diversité des réalités rencontrées dans la pratique et permettent d’avoir accès à la philosophie d’intervention de cet organisme. Puis, le texte proposé par Danielle Michelet Coutama et Maelwenn Corbinais illustre l’apport essentiel des proches aidants comme source d’aide complémentaire aux aides professionnelles en contexte français. Elles nous présentent un dispositif d’accompagnement et de formation au service des proches aidants en France, L’espace Répit-parole, un groupe de parole destiné à des parents d’enfants et d’adultes en situation de handicap. Ce texte permet de voir de l’intérieur comment est vécue et soutenue la proche aidance qui se vit ailleurs, hors du Québec. Les textes suivants donnent accès à des réalités et à des expériences spécifiques de la proche aidance. Claudia Lafond et Valérie Roy présentent d’abord les résultats d’une intervention de groupe dédiée aux hommes dont la conjointe est atteinte d’un cancer du sein localisé. L’analyse de cette expérimentation basée sur l’approche centrée sur les forces met de l’avant la volonté de soutenir les compétences et le potentiel des hommes, en misant sur la valeur de leur expérience en tant que proche aidant. Par la suite, Carmen Lemelin et Caroline Pelletier dressent un état de la littérature sur les réalités vécues par les couples en situation de proche aidance. Elles font état des changements personnels et conjugaux rapportés par des proches aidants et du défi de demeurer amoureux dans ce contexte. Enfin, Anne-Sophie Côté et Sophie Éthier présentent une intervention de groupe axée sur l’aide mutuelle réalisée auprès de jeunes proches aidants de 12 à 17 ans. Ce groupe a été mené dans le cadre d’un projet d’intervention de maîtrise réalisé à l’organisme Deuil-Jeunesse. Si le groupe a permis aux jeunes de briser leur isolement et de démystifier le rôle qu’ils occupent, les résultats mettent en lumière le rôle invisible des jeunes proches aidants et la nécessité de s’y intéresser davantage au Québec.
Un regard analytique pour mieux comprendre des réalités spécifiques de l’expérience de la proche aidance
La troisième partie de ce numéro regroupe trois textes qui posent un regard sur des aspects de la proche aidance qui sont peu abordés, mais qui nécessitent qu’on s’y attarde davantage afin de sensibiliser et d’outiller les travailleurs sociaux par rapport à ces réalités.
L’article rédigé par Josée Grenier et Émilie Laplante aborde la proche aidance en mettant l’accent sur le contexte des pertes et du deuil ambigus qui sont présents en situation de proche aidance et qui viennent complexifier l’expérience des personnes proches aidantes. Des cas de figure tirés du terrain sont présentés et viennent soutenir la pertinence d’avoir recours à l’intervention sociale pour cheminer vers la résilience.
Annik Moreau et Bernadette Dallaire dressent par la suite un état des lieux au sujet de la proche aidance en contexte de vieillissement et de trouble mental grave. Elles présentent les connaissances liées à cette réalité de la proche aidance en se situant à l’intersection des champs de connaissances du domaine du vieillissement et de la maladie mentale. Cela permet de poser les enjeux pour l’organisation des services et pour la pratique des travailleuses et travailleurs sociaux auprès des proches aidants qui soutiennent des aînés aux prises avec des troubles mentaux graves.
Le texte proposé par Jacques Roy, Sophie Éthier, Gilles Tremblay et Hélène Lahaie propose une réflexion sur le phénomène de la proche aidance au masculin. Basée sur une synthèse des résultats de 18 études ayant porté sur cette problématique, dont trois recherches menées au Québec, l’analyse met en lumière la spécificité de l’expérience des hommes en tenant compte de leur vision du rôle de proche aidant à travers la perception des tâches, la perspective générationnelle, la perception différentielle du fardeau et la réticence à recourir à l’aide et aux services. Des pistes de réflexion et d’intervention sociale auprès des hommes proches aidants sont identifiées afin de mieux les rejoindre dans la pratique.
Enfin, le numéro compte également un texte hors thématique. Amnon Jacob Suissa propose une réflexion sur l’accompagnement des familles dans le contexte des cyberdépendances. Pour ce faire, il présente d’abord une mise à jour des connaissances et expose par la suite une méthodologie d’intervention basée sur une approche systémique familiale afin de dégager des pistes d’intervention utiles et prometteuses. Cet article est une occasion de sensibiliser les travailleuses et travailleurs sociaux à ce nouvel enjeu bien présent dans la pratique.
Finalement, deux pistes de lecture sont proposées dans le cadre de ce numéro thématique sur la proche aidance. Celles-ci ont été rédigées par des travailleuses sociales et portent sur des ouvrages utiles pour éclairer la pratique du travail social dans le domaine de la proche aidance. Anne-Sophie Bergeron présente d’abord une analyse de l’ouvrage Le counseling auprès de proches aidants de Marjorie Silverman, publié aux Éditions du remue-ménage en 2009. Puis, Katerine Ouimet analyse l’ouvrage Accompagner les proches aidants : guide à l’intention des intervenants psycho-sociaux des auteures Michelle Arcand et Lorraine Brissette, paru aux Éditions L’Harmattan en juin 2020.
Nous souhaitons que ce numéro puisse témoigner de la diversité des visages de la proche aidance en 2020 et qu’il suscite un vif intérêt des travailleuses et travailleurs sociaux à agir pour répondre aux besoins des personnes proches aidantes.
En vous souhaitant une bonne lecture.
Pour le comité éditorial
1 https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2020-06-11/quebec-depose-son-projet-de-loi-pour-une-politique-nationale-des-proches-aidants, https://www.ledevoir.com/societe/sante/580599/vers-une-politique-nationale-pour-les-proches-aidants
2 https://www.fcass-cfhi.ca/docs/default-source/itr/tools-and-resources/bt-re-integration-of-family-caregivers-as-essential-partners-covid-19-f.pdf?sfvrsn=1eb12bb7_4