Numéro 153

Présentation

Intervenir selon une perspective d’intervention centrée sur les forces implique de travailler à partir des aspirations et désirs concrets de la personne. À l’origine du mieux-être des personnes que nous accompagnons en travail social, il y a souvent un rêve, porteur d’espoir, qui donne envie de faire un premier pas. Lié à l’utilisation des forces en travail social, ce numéro thématique est issu de plusieurs aspirations. La première était simplement de travailler à trois afin de mettre en commun notre passion et nos savoirs respectifs à propos de l’utilisation des forces en travail social. Au cours des dernières années, chacune de nous s’est intéressée au travail social axé sur les forces, mais nous n’avions pas eu l’occasion de réfléchir à trois sur cette question. La deuxième aspiration était celle de collaborer à un projet qui mettrait en évidence les différents savoirs pratiques et scientifiques québécois à propos de l’utilisation des forces dans le champ du travail social. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un champ de connaissance nouveau, il n’existe que peu d’écrits auxquels peuvent se référer les travailleuses et travailleurs sociaux en exercice ou en formation. Comprenant huit articles et une entrevue, ce numéro thématique contribue donc, à notre avis, à enrichir les connaissances actuelles et sera très certainement utile à nos enseignements universitaires et aux professionnels intéressés par l’utilisation des forces dans leur pratique. Enfin, la troisième aspiration était d’apporter notre propre contribution à ce numéro thématique en jetant un regard historique et prospectif à propos de l’utilisation des forces en travail social. Par le biais d’un article que nous avons écrit à six mains et qui introduit ce numéro thématique, nous souhaitons faire la lumière sur les différentes perspectives que revêt la notion de forces en travail social. Le texte porte d’abord sur le développement historique de la notion de forces. Ensuite, une proposition des concepts apparentés ainsi qu’une présentation des différents niveaux d’intégration de la notion de forces en travail social sont mises en évidence. Afin d’ancrer ces perspectives théoriques dans la pratique professionnelle, un outil d’auto-évaluation est proposé. Notre souhait est que cet article soit utile aux travailleuses et travailleurs sociaux en exercice ou en émergence.

Le regard de la recherche pour mieux comprendre l’utilisation des forces en travail social

La première partie du numéro invite à poser un regard pour mieux comprendre l’utilisation des forces en travail social à partir des résultats de diverses recherches. Pour ce faire, Maude-Émilie Pépin, Maxime Guillette, Louise Belzile et Yves Couturier présentent une réflexion sur le rôle des travailleuses sociales en GMF sous l’angle de leur insertion dans les organisations de soins primaires, et ce, afin de mieux saisir ce qui favorise l’intervention axée sur les forces. Sur la base d’entretiens compréhensifs et d’observations directes, cet article documente les pratiques des travailleuses sociales et permet de saisir dans quelle mesure ce nouveau contexte de pratique, favorisant les liens interprofessionnels, permet de mobiliser les forces des usagers. De leur côté, Sébastien Carrier, Medjine Léonard, Marie-Eve Lapointe, Alexandre Farrese, Pierre-Luc Bossé et Paul Morin documentent les expériences d’usage de la plateforme Baromètre sous l’angle du croisement et de la coproduction des savoirs. Les résultats de cette étude qualitative permettent d’observer comment une plateforme numérique comme Baromètre, qui s’appuie sur l’approche centrée sur les forces, peut jouer un rôle de médiateur sociotechnique dans la reprise de pouvoir des usagers, notamment en valorisant les savoirs d’expérience.

Le regard de la pratique pour mieux comprendre l’utilisation des forces en travail social

La deuxième partie de ce numéro est constituée de récits de pratique mettant en évidence différentes manières d’utiliser les forces dans le champ du travail social. Les deux premiers récits concernent le déploiement de l’approche ou du modèle d’intervention axé sur les forces, tel que conçu par Rapp et Goscha (2012), auprès de personnes utilisatrices des services en santé mentale. Emmanuelle Khoury et Marjolaine Chaput nous entraînent d’abord dans un récit de pratique critique lié au déploiement de certaines des composantes de l’approche axée sur les forces au sein d’une équipe de suivi intensif dans le milieu (SIM). À travers les histoires de Marie et de Morgane, les auteures nous convient à une analyse réflexive des enjeux auxquels font face les intervenants qui expérimentent l’approche par les forces. Cette analyse met en évidence les facteurs qui facilitent ou entravent le déploiement des six principes qui sous-tendent cette approche. 

L’article proposé par Myreille St-Onge et Andréanne Ledoux-Bérubé s’intéresse, quant à lui, à l’actualisation du modèle axé sur les forces, plus spécifiquement dans le contexte du soutien d’intensité variable (SIV) auprès des personnes vivant avec un trouble de la personnalité. Ce récit met en évidence les résultats d’une expérimentation menée auprès de 12 personnes, en plus de situer les conditions qui favorisent l’actualisation des cinq étapes du processus clinique, et ce, afin de favoriser le rétablissement des personnes concernées. Alors que les deux premiers textes s’intéressent au travail des intervenants, l’article rédigé par Annie Lambert, Philippe Roy, Julie Noël, Caroline Leblanc et Marie-Eve Jean nous amène dans l’univers de l’enseignement universitaire en travail social. Ce récit concerne l’implication des personnes usagères de services en santé mentale dans la formation des travailleuses et des travailleurs sociaux. Il démontre comment les forces des personnes peuvent être mobilisées afin d’enrichir la formation des étudiants.

Enfin, Christiane Bergeron-Leclerc s’est entretenue avec Brigitte Chassé, travailleuse sociale à titre de conseillère aux établissements pour le volet soutien d’intensité variable du ministère de la Santé et des Services sociaux. À travers cette entrevue, madame Chassé porte un regard sur l’accompagnement des équipes de suivi communautaire qui travaillent à l’implantation de l’approche ou du modèle d’intervention par les forces. Elle présente également son travail d’accompagnement en tant que conseillère aux établissements, ainsi que les défis d’implantation qu’elle perçoit.

Un regard analytique pour mieux connaître les possibilités d’intégration de l’approche centrée sur les forces

La troisième partie de ce numéro regroupe deux textes qui posent un regard analytique sur l’intégration des forces à la fois dans la pratique et auprès des collectivités. Ces articles donnent un souffle nouveau et actuel en regard des possibilités d’intégration des forces dans l’univers psychosocial. L’article rédigé par Sabrina Tremblay présente des pistes de réflexion pour les intervenants qui s’intéressent aux approches centrées sur les forces auprès des communautés. Le propos est principalement articulé sous la perspective du pouvoir d’agir communautaire (empowerment), enchâssé dans le paradigme de l’innovation sociale pour une transformation durable. En regard des enjeux actuels reliés à cette méthode d’intervention en travail social, cet article met en exergue la relation entre le potentiel d’intégration de l’intervention communautaire et l’utilisation des forces. Le texte de Kévin Lavoie et Gabrielle Richard propose, de son côté, un renversement de perspective en ce qui concerne les trajectoires et les expériences des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer et intersexes (LGBTQI). Alors que ces communautés ont été historiquement analysées sous un angle pathologique ou sous le prisme des facteurs de risque et de vulnérabilité, cet article met en lumière leurs forces. À travers une analyse critique des écrits en sciences sociales, trois domaines où les communautés concernées font preuve de créativité et d’agentivité sont présentés, soit l’auto-désignation, la famille et la conjugalité.

Le numéro compte également un texte hors thématique rédigé par Isabelle Côté et Simon Lapierre, dans lequel les auteurs présentent le concept de contrôle coercitif, tel que développé par Evan Stark, et analysent les apports de ce concept pour l’intervention auprès des individus et des familles vivant dans un contexte de violence conjugale. 

Finalement, deux pistes de lecture sont proposées dans le cadre de ce numéro thématique. La première piste de lecture, rédigée par Joanie Lavoie, est liée à la parution d’un ouvrage collectif sous la direction d’Isabel Côté, de Kévin Lavoie et de Renée-Pier Trottier-Cyr et ayant pour titre « La recherche centrée sur l’enfant : défis éthiques et innovations méthodologiques ». La deuxième piste de lecture, présentée par Josée Grenier, concerne un ouvrage dirigé par Danielle Maltais et Jacques Cherblanc intitulé « Quand le deuil se complique. Variété des manifestations et modes de gestion des complications du deuil ». 

Pour terminer, nous souhaitons que ce numéro puisse témoigner de la diversité de l’utilisation des forces en travail social et qu’il permette des clarifications conceptuelles. Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à le lire que nous en avons eu à le mettre sur pied!

En vous souhaitant une bonne lecture.

Pour le comité éditorial,
Christiane Bergeron-Leclerc, T.S., Ph.D., Professeure agrégée, Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi
Eve Pouliot, Ph.D., Professeure agrégée, Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi
Virginie Gargano, Ph.D., Professeure adjointe, École de travail social et de criminologie, Université Laval