RÉSUMÉ :
Étant donné la complexité et les hauts risques associés à la pratique en contexte de protection de la jeunesse (PJ), les « erreurs » ou les « drames » sont inévitables (Munro, 2005). En ce sens, dans sa perspective des systèmes, Munro argumente que pour les réduire au maximum et améliorer la performance globale des systèmes de PJ, il faut que les « erreurs », qui sont souvent individualisées au niveau des professionnelles, soient plutôt analysées au sein d’un système managérial et organisationnel plus large (2005; 2011; 2019). Plus précisément, il faut prendre en compte 1) les facteurs liés aux individus, 2) les ressources et les contraintes ainsi que 3) le contexte organisationnel, et comprendre comment ceux-ci influencent l’exercice des professionnelles et la qualité des services aux jeunes et à leurs familles (Munro et Hubbard, 2011). L’objectif de cet article est de présenter, à la lumière des trois niveaux de la perspective des systèmes (Munro, 2005; 2011; 2019), une analyse critique des conditions de pratique des professionnelles des services de PJ telles que présentées dans le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ, appelée commission Laurent). L’analyse thématique complète du rapport a permis d’identifier trois axes thématiques transversaux aux conditions de pratique : 1) la gestion de la performance; 2) la culture du risque et 3) le vécu des professionnelles. Les constats découlant de ces trois axes présentent des cohérences, mais aussi certaines tensions et discontinuités avec la perspective des systèmes : 1) la prépondérance de recommand’Actions qui s’intéressent aux professionnelles en comparaison des deux autres niveaux, soit les ressources et l’organisation; 2) des propositions qui posent le risque de resserrer le contrôle des pratiques plutôt que de valoriser l’expertise des professionnelles; 3) des stratégies qui misent sur l’adaptation plutôt que sur le changement vers une culture d’apprentissage. Les similitudes, les écarts et les discontinuités entre les constats et les recommand’Actions sont discutés afin d’illustrer certains angles morts du rapport Laurent, notamment la valorisation d’une culture d’apprentissage cohérente avec l’incertitude et l’exceptionnalité du travail en contexte de PJ.
MOTS-CLÉS :
Commission Laurent, perspective des systèmes, conditions de pratique, protection de la jeunesse
ABSTRACT:
Given the complexity and high risks associated with practice in child protection services (CPS), “errors” are inevitable (Munro, 2005). Based on her perspective of systems, Munro argues that to fully minimize risks and improve the overall performance of CPS, “errors”, which are often individualized at a professional level, must be analyzed within a broader managerial and organizational system (2005; 2011; 2019). More specifically, it is necessary to consider: 1) the factors related to individuals 2) the resources and constraints, and 3) the organizational context, and to understand how these influence professionals’ practice and the quality of services to young people and their families (Munro and Hubbard, 2011). The purpose of this article is to present, in light of the systems perspective (Munro, 2005; 2019), a critical analysis of CPS professionals’ practice conditions as presented in the report of the Special Commission on Children’s Rights and Youth Protection (known as the “Laurent Commission”). A full thematic analysis of the report identified three thematic areas: 1) performance management 2) risk culture, and 3) professional experience. The findings arising from these three areas are consistent with the systems perspective but also present certain tensions and discontinuities: 1) the prevalence of recommend’Actions that focus more on individuals rather than on the other two system levels , i.e., resources and organization 2) proposals that risk tightening control over practices rather than valuing professional expertise, and 3) strategies that focus on adapting rather than transitioning to a learning culture. The similarities, gaps and discontinuities between the findings and the recommend’Actions are discussed in order to illustrate some of the blind spots in the Laurent report, notably the promotion of a learning culture on par with the uncertainty and exceptionality of child protection practices.
KEYWORDS:
Laurent Commission, systems perspective, practice conditions, child protection services