Numéro 158

Nouvelle gestion publique et travail social au Québec : actions stratégiques en réponse aux contraintes organisationnelles

RÉSUMÉ : 

Depuis son implantation progressive dans le réseau de la santé et des services sociaux, la Nouvelle gestion publique (NGP) a entrainé des modifications majeures dans les conditions de pratique des travailleuses sociales. L’imprégnation d’une logique gestionnaire, la standardisation des pratiques ainsi que le recours de plus en plus fréquent aux données probantes et à l’intelligence artificielle pour baliser l’intervention ont contribué à réduire l’autonomie professionnelle des travailleuses sociales. Dans ce cadre de plus en plus contraignant, il devient difficile pour elles d’exercer des pratiques éthiques, c’est-à-dire de déployer au quotidien une pensée critique et une réflexivité basées sur les savoirs et valeurs du travail social, sur les normes déontologiques de la profession et sur leur identité professionnelle. Elles ont également de moins en moins de marge de manœuvre pour déployer des interventions inclusives et différenciées auprès des personnes issues de groupes minoritaires auprès desquelles elles sont appelées à agir. Les changements entrainés par la NGP engendrent aussi chez les travailleuses sociales des conflits de loyauté, entre les attentes de leurs gestionnaires et leurs valeurs professionnelles, ce qui a de nombreux effets délétères : détresse psychologique, démobilisation, épuisement professionnel, changement de carrière, etc. Si plusieurs recherches se sont intéressées à ces impacts des réformes managériales, très peu se sont attardées aux stratégies déployées par les travailleuses sociales dans leurs pratiques quotidiennes pour y faire face et pour assurer un exercice éthique de leur profession. Cet article propose ainsi une analyse des répercussions de la restructuration de l’État engendré par la NGP sur les conditions de pratique du travail social, ainsi que des réponses émergentes introduites par les actrices de terrain. 

MOTS-CLÉS :

Travail social, pratiques éthiques, Nouvelle gestion publique, managérialisation des services sociaux, stratégies

ABSTRACT:

Since its gradual establishment in Quebec’s healthcare and social services network, New Public Management (NPM) has led to major changes in the working conditions of social workers. The permeation of managerial logic, standardization of practices and increasing use of evidence-based practices and artificial intelligence to guide interventions have reduced the professional autonomy of social workers. In this increasingly restrictive environment, they struggle to carry out ethical practices in their daily work. As a result, it becomes harder and harder for social workers to use their critical thinking skills and reflexivity based on social work knowledge and values, ethical standards of the profession and on their professional identity. What’s more, when working with various minorities, using inclusive, personalized practices is also becoming a challenge. NPM changes are also creating loyalty conflicts among social workers who are caught between the conflicting expectations of their managers and their professional ethos. These tensions have numerous harmful effects such as psychological distress, demobilization, burnout and resignation. While several studies have investigated the impacts of these managerial reforms, very few have examined the strategies deployed by social workers in their daily practices to cope with NPM and ensure an ethical exercise of their profession. This article proposes an analysis of the repercussions of managerial (NPM) reforms on the practice of social work, as well as emerging responses initiated by frontline practitioners.

KEYWORDS: 

Social work, ethical pratices, New Public Management, managerialization of social services, strategies